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Publié il y a 16 jours - Mise à jour le 05.11.2024 - © Gil Lorfèvre - 4 min  - vu 888 fois

FAIT DU JOUR La recette de la brandade Enjolras : de la morue et de l’amour

Maxime Enjolras : « Je me nourris de tout ce qu’on me dit, tout en gardant la démarche artisanale liée à nos productions. »

- © Gil Lorfèvre

L’entreprise graulenne a bâti sa réputation au milieu des années 60 avec sa recette de la soupe de poissons et sa sauce rouille. À table !

Chez les Enjolras, le poisson est roi. Et ce n’est pas Maxime, le nouveau gérant de l’entreprise familiale, qui dira le contraire. C’est son arrière-grand-père, Eugène, mareyeur de profession, qui le premier, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, apposa son nom sur une enseigne aux abords du port du Grau-du-Roi. Le commerçant des produits de la mer, comme on disait à l’époque, est rejoint au début des années 60 par ses deux fils : Jean surnommé Jeannot et Joseph que tout le monde ici appelle Zézé. Rapidement, les deux frères décident de développer l’entreprise familiale en ouvrant des poissonneries dans la cité balnéaire, tout en gardant l’activité de mareyeur. « C’était une période où le tourisme était en plein essor ; par conséquent, mon père et mon oncle ont fait le choix d’ouvrir une première poissonnerie au centre du village puis une deuxième à Port Camargue qui venait tout juste de sortir de terre », se souvient Jocelyne Enjolras, la fille de Jeannot qui, jusqu’à ces dernières semaines encore, était cogérante de l'entreprise familiale avec son frère Éric. Ce sont d’ailleurs les touristes qui vont être à l’origine de la nouvelle destinée professionnelle des frères Enjolras comme le raconte Jocelyne : « Quand les premiers vacanciers venaient à la poissonnerie, souvent ils demandaient des plats cuisinés à base de poissons. Au début, il n’y en avait pas mais petit à petit, afin de répondre à la demande toujours plus croissante, ma mère Maryse, qui est une excellente cuisinière, s’est mise aux fourneaux et à commencer à concocter des plats tirés de recettes familiales, et ça a rapidement plu aux clients. »

Dans des sacs plastiques

Parmi les plats proposés celui qui tient la vedette est la soupe de poissons maison réalisée uniquement à base de produits frais, sans ajout de colorant ni d’additif, et accompagnée de la sauce rouille. « C’est cette recette élaborée par ma maman dans les années 60 – qui au départ était une recette de ma grand-mère maternelle qu’elle a améliorée - qui est utilisée aujourd’hui encore dans la réalisation de nos soupes de poissons. » Face au succès rencontré auprès des clients de la poissonnerie, Jeannot décide de développer la commercialisation de cette spécialité méditerranéenne sur le circuit des mareyeurs locaux. Mais le succès escompté n’est pas au rendez-vous. «  Mon père voulait un conditionnement léger et transparent qui permettait de distinguer le produit, et pour cela il a choisi le sac plastique. Malheureusement, c’était trop novateur pour l’époque et les clients n’ont pas suivi tout de suite. Il a fallu attendre quelques années avant que la soupe de poisson trouve sa place.  » Et la situation est d’autant plus difficile, à cette époque, que l’entreprise a engagé de gros investissements. Mais qu'à cela ne tienne ! Chez les Enjolras, on a l’esprit d’entreprise chevillé au corps. Et cette fois, ce sont les clients professionnels qui vont relancer la machine, au début des années 80, avec une demande bien précise : créer une brandade de morue fraîche, de qualité et réalisée de façon artisanale. Et voilà Maryse qui retrouve ses fourneaux et s’essaye à de nouvelles recettes ! « On a goûté à la maison des tonnes de brandade avant que ma mère trouve la recette idéale », s’amuse Jocelyne. Une recette qui aujourd’hui, bien entendu, est gardée secrète. Comme d’ailleurs toutes les autres recettes qui servent à l’entreprise graulenne. Ce qu’on sait en revanche, c’est que la brandade se compose essentiellement d’huile, de lait et de morue. « La morue arrive salée directement du Portugal, explique Maxime, le fils d’Éric et neveu de Jocelyne, qui avant de reprendre les rênes de la société familiale travaillait dans le secteur de la maintenance industrielle. Elle est ensuite dessalée et triée à la main. Les arêtes ainsi que la peau sont retirées. On ne garde alors que les meilleurs morceaux. Il faut deux jours pour produire de la brandade fraîche. » Pour ce qui est de la soupe, les poissons sont pêchés au Grau-du-Roi et achetés quotidiennement à la criée située à quelques mètres à vol d’oiseau des établissements Enjolras. « Nous y ajoutons simplement des légumes, des épices, de l’eau... et du savoir-faire ! »

Des locaux rénovés

Installée sur le quai Christian-Gozioso, face aux chalutiers, l’entreprise emploie actuellement une quinzaine de salariés, dont neuf travaillent exclusivement en cuisine. En 1996, à la retraite de Zézé, la société a mis un coup d’arrêt à son activité de mareyeur et, quatre ans plus tard, au départ de Jeannot, c’est la vente au détail qui a été stoppée. « Désormais, nous nous consacrons exclusivement à la confection de plats cuisinés », déclare Maxime âgé de 25 ans. Car outre la soupe de poissons, la sauce rouille et la brandade de morue, l’établissement propose également à la vente le délice de saumon, la mayonnaise d’anchois ou encore l’aïoli. Afin de répondre au marché porteur, l’entreprise a engagé, depuis plusieurs années, des travaux de rénovation et d’agrandissement de ses locaux. Aujourd’hui, les ateliers s’étendent sur une surface de plus de 1 200 m². « Cela permet de travailler dans de bonnes conditions », assure le jeune entrepreneur qui ne cache pas vouloir développer de nouveaux projets à l’instar de la création d’un site commercial avec pour objectif de capter une nouvelle clientèle plus jeune. Et tout comme ses aïeuls, le dernier des Enjolras a envie de laisser son empreinte dans l’histoire familiale. Pour cela, il se prépare à commercialiser dans les prochains mois « un nouveau produit... issu bien entendu de la mer ! »

Pour la petite histoire

C’est Charles Durand, cuisinier de l’archevêque d’Alès et auteur d’un ouvrage considéré comme l’un des premiers livres de cuisine français, qui en 1830 fait découvrir la brandade de morue au Tout-Paris qui vient se régaler de ce plat du Sud au restaurant des Frères provençaux à Paris. Le nom brandade de morue tire son origine du verbe provençal brandar, qui signifie remuer. La présence de morue dans le département du Gard n’est pas un hasard, elle est liée au sel récolté dans les Salins du Midi. En effet, à partir du XVe siècle les navires morutiers se rendent à Aigues-Mortes afin de troquer la morue contre le sel qui servira à la conservation du poisson lors des campagnes menées dans les eaux glaciales de Terre Neuve.

© Gil Lorfèvre

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