Publié il y a 5 mois - Mise à jour le 28.05.2024 - Boris De la Cruz - 4 min  - vu 1647 fois

FAIT DU SOIR Abdelkrim Grini, le procureur d’Alès se dévoile

Le procureur de la République d'Alès, Abdelkrim Grini, s'attaque au trafic de stupéfiants et considère que la prison n'est pas suffisante pour les dealers.... Il faut saisir les biens des trafiquants.

- © Boris de La Cruz

« La peine de prison n’est pas suffisante : il faut saisir les maisons, les voitures et les comptes bancaires des trafiquants ». Le procureur d’Alès prend ses marques en territoire cévenol. Abdelkrim Grini revendique haut et fort plusieurs principes concernant son action. Il considère qu'un procureur doit être sur le terrain au plus proche des doléances, mais aussi être ferme et réactif dans les réponses judiciaires.

Il arpente inlassablement le terrain depuis son installation il y a maintenant 8 mois. Arrivé de Roanne dans la Loire où il a officié au même poste pendant 5 ans, Abdelkrim Grini occupe son second poste de procureur. Mais le magistrat n’est pas un inconnu dans la région. Ce fils d’ouvrier a découvert le droit et ne l’a plus lâché. Il commence sa carrière de l’autre côté du miroir judiciaire en portant la robe d’avocat. Rapidement, l’auxiliaire de justice essaie de devenir juge ou plus exactement parquetier*. Il exerce comme substitut du procureur à Nîmes ou Avignon, mais aussi comme substitut général auprès du procureur général de Nîmes.

À Alès, depuis septembre 2023, ce procureur de terrain n’hésite pas à prolonger les gardes à vue en se rendant lui-même dans les casernes de gendarmerie de son ressort. « C’est vrai, je souhaite me rendre dans les brigades ou au commissariat d’Alès pour me rendre compte par moi-même. Il faut voir les personnes gardées à vue, et rencontrer les enquêteurs. C’est important pour se faire une idée précise du dossier que l’on a entre les mains, cela permet de prendre des décisions plus équilibrées, plus justes à mon sens », souligne le magistrat.

Violences

Lorsqu’on lui demande sa principale préoccupation, le mot violence est prononcé du tac-au-tac. Violences gratuites, violences conjugales... « Sur Alès, il y a un taux important de violences intrafamiliales avec un fond d’alcool, de stupéfiants, mais aussi avec des problématiques de souffrances psychologiques ou psychiatriques », analyse-t-il. Que préconise-t-il pour y faire face ? « Dans ces domaines, il faut une politique ferme avec des déferrements systématiques », répond-il. Il évoque également des contrôles judiciaires stricts mais aussi des réponses pénales de jugement en comparution immédiate avec placement en détention. « On ne peut pas prendre le risque de laisser faire et que la situation dégénère comme par exemple le double homicide de l’an dernier aux Salles-du-Gardon », complète le procureur Grini qui reçoit Objectif Gard le magazine dans son bureau avec vue sur le Cratère d’Alès.

Drogue : petites mains et grandes enquêtes

Plusieurs points de deal sont connus à Alès. Le trafic a tendance, comme partout en France, à toucher les grandes villes mais aussi les petites contrées. « Il y a un mois, nous avions démantelé avec la Brigade de recherches d’Alès et la Section de recherches de Nîmes un réseau de stupéfiants conséquent. Des interpellations récentes, notamment au Vigan, avec des individus qui venaient de Montpellier, indique Abdelkrim Grini. Le trafic peut être extérieur à Alès avec des gens qui viennent de Nîmes, Bagnols, Avignon, Montpellier ou Marseille. Ils viennent dans le bassin alésien pour se mettre au vert ou pour prendre un marché ».

Il se réjouit de l’installation récente dans le Gard d’un GIR, un groupe interministériel régional qui va permettre de mieux saisir le patrimoine des trafiquants. « Lutter contre les stupéfiants se fait à deux niveaux : l’interpellation des petites mains, des dealers locaux, mais aussi taper les chefs de réseau. Par exemple, pour le réseau démantelé récemment, c’est 180 000 euros de saisies conservatoires et 9 interpellations. Mais c’est aussi un an d’enquête pour parvenir à ce résultat », complète le patron du parquet d’Alès. « Avec le GIR, il s’agit d’enquêteurs chevronnés à la question patrimoniale. Ils identifient et repèrent le patrimoine et ils sont capables d’opérer ensuite une saisie. Nous avons pour nous aider autour de la table, les Impôts, l’URSSAF, la CPAM et tout le monde apporte son expérience pour nous permettre d’être efficace ». Le magistrat revendique haut et fort sa volonté de
« taper » le patrimoine des trafiquants : « Il faut aller de plus en plus sur le volet patrimonial. La peine de prison n’est pas suffisante : il faut saisir les maisons, les voitures et les comptes bancaires des trafiquants. Il faut enlever les biens acquis par le trafic. »

Abdelkrim Grini est officiellement nommé procureur d'Alès depuis le 1er janvier 2024. • © MaxPPP

À la rencontre des lycéens, des élus…

Entre deux audiences et sa volonté d’inscrire sa politique pénale, le représentant du ministère public aime se rendre dans des établissements scolaires comme il l’a fait récemment au lycée Jean-Baptiste-Dumas d’Alès ou dans un lycée professionnel à Nîmes pour parler citoyenneté, justice, sanction pénale et répondre à des questions du style « qu’est-ce que je risque si je fume dans la rue, ou si je me balade avec plusieurs grammes de cannabis ? ». Le procureur va même au devant des élus à Alès Agglomération pour parler prévention de la délinquance.

Abdelkrim Grini interrogé par les lycéennes Eloïse et Thalia. • © Louis Valat

Des actions pour éviter « la judiciarisation »

Le procureur tisse le fil de son activité entre réaction pénale et prévention. Il essaie de mettre en place une politique pénale de proximité comme le rappel à l’ordre par le biais d’une convention signée avec le maire. « Par exemple, un conflit de voisinage, un chien qui aboie, ce n’est pas grand-chose, mais cela peut dégénérer et prendre ensuite des proportions conséquentes. Il faut casser cette dynamique et cette convention signée avec les maires permet d’intervenir au plus près du problème », témoigne le procureur Grini. Dans sa gibecière de médiation, le procureur veut également impliquer les élus sur un autre protocole, celui de la transaction municipale. Il prend l’exemple d’un homme qui casse pour 400 € de pots de fleurs dans un village. « Il est anormal que la charge de la réparation revienne aux contribuables, pointe-t-il. Dans le cadre de cette transaction, c’est la personne concernée qui paie l’addition », avant que le justice ne mette son nez avec l'arsenal des poursuites. Une transaction municipale que le procureur Grini aimerait voir signer avec les élus de son territoire le plus rapidement possible.

Par ces deux dispositifs peu connus du grand public, le procureur délègue aux maires le pouvoir d’arranger les situations avant qu’elles ne s’enveniment et n’atterrissent ensuite devant le tribunal judiciaire.

* Procureur de la République, substituts du procureur : les parquetiers ou magistrats du parquet ont pour mission de veiller à l'application de la loi et de conduire l'action pénale au nom des intérêts de la société. Ils ne jugent pas contrairement aux magistrats du siège.

Boris De la Cruz

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