FAIT DU SOIR Alexandra Deman, de scénariste à peintre, l’écriture d’une vie d’artiste
Alexandra Deman refuse de révéler son âge. Une coquetterie ? Peut-être. Mais après tout, qu’importe les années, seul le regard est le reflet de l’âme. Celui-là, surmonté d’une franche droite balayée par une main délicate, est pétillant. « Un Perrier menthe et un Coca, s’il vous plaît ».
Assises à la terrasse du Calendal à Arles, nous poursuivons notre rencontre qui a démarré, quelques minutes auparavant, à la porte des sanitaires, sans le savoir l’une et l’autre. « Je suis en train d’arrêter de fumer », lâche-t-elle en allumant une cigarette, amusée par l’ironie de la réponse : « C’est en bonne voie ! ». Sous nos nuages de fumée, des flots de mots pour raconter un parcours singulier, dans un désordre chronologique, ah ces artistes… Car Alexandra Deman en est une, d’ailleurs elle baigne dans l’univers de la peinture depuis son enfance. « Mon école des « Beaux-Arts » s’appelle Albert Deman », indique-t-elle. Un père, un illustre artiste-peintre qu’elle a toujours regardé avec admiration. Elle en éprouve tout autant pour sa mère, Andrée. Mais entre le papa et sa fille, la transmission se fait en silence. L’art ne se dicte pas, l’art se vit, s’éprouve. À l’adolescence, celle que l’on peut facilement surnommer Alex, fait ses premières armes encouragée par son père, submergée par cette « envie de dessiner et de peindre ». Des aquarelles qui seront confiées à une galeriste à La Rochelle, ville de son enfance bercée par les embruns iodés de l’océan Atlantique.
Une scénariste d’investigation
Puis Paris, les nuages de pollution, les vagues de gens - dépeindre est subjectif ! - Sciences-Po. La "provinciale" décroche son diplôme et tout à coup, sans qu’elle ne sache l’expliquer autrement qu’à travers un sentiment, elle raccroche les pinceaux, se saisit d’un stylo. « Je me sentais conteuse, j’avais envie de raconter des histoires », se souvient-elle. Brièvement assistante à la réalisation, Alexandra apprend son métier de scénariste aux côtés de Pierre Uytterhoeven, oscarisé en 1967 pour Un homme et une femme de Claude Lelouch. Elle signe et co-signe une cinquantaine de films pour le cinéma et la télévision. Très souvent dans l’ombre des réalisateurs et des acteurs, les scénaristes et dialoguistes sont pourtant ceux qui rendent le récit crédible, donnent corps aux personnages. Alexandra était de ceux qui mènent l’enquête, jusqu’en Amérique latine pour écrire La Traque, film historique qui relate la traque de Klaus Barbie par le couple Klarsfeld, par exemple. Elle a côtoyé le monde de l’armée pendant plusieurs semaines pour construire le scénario de Peur sur la base, avec Audrey Fleurot. « J’aime aller au fond des choses, me documenter, rencontrer les gens, me nourrir de leurs histoires, de leurs expériences », explique-t-elle.
Et puis, pour des raisons qui lui sont personnelles, la scénariste d’investigation met un terme à cette carrière. Après quatre années de recherches, en France et ailleurs, Alexandra et son mari trouvent la maison de leurs rêves, sur la Presqu’île de Giens dans le Var, au bord de la mer. « J’ai fait mes premiers pas sur la plage. La mer me ramène à des souvenirs d’enfance, en Vendée, puis à La Rochelle. » Et dans ces souvenirs, il y a les gestes de ce père peintre.« Il avait une façon particulière de s’emparer du chiffon », et dans son atelier, elle se surprend à le reproduire, un geste inconscient, marque indélébile d’un héritage artistique. Car dans ce décor provençal renaît l’envie de peindre, « 5 000 tableaux voulaient sortir de moi », s’amuse-t-elle. Alors Alexandra s’inspire de ces paysages méditerranéens, elle apprend d’ailleurs que ses ancêtres de la branche maternelle ont foulé ces terres bien avant elle, à Toulon mais aussi à Aigues-Mortes. Un autre héritage, cette fois-ci émotionnel ? Et ces arbres qu’elle peint ne sont-ils pas ses racines (inconnues pendant très longtemps) qui se rappellent à elle ?
« Le sujet est un prétexte chorégraphique »
En quête de vérité tout au long de sa carrière de scénariste, Alexandra Deman lâche prise devant sa toile. « Je ne peins pas sur motif, je réinvente par le geste artistique, je ne cherche pas à retranscrire dans le détail. Le sujet est un prétexte chorégraphique où je laisse faire l’intuition, l’instinct. C’est à chaque fois l’expression du ressenti à l’instant T. Jusque dans le choix du medium : aquarelle, acrylique, l’encre de Chine aussi etc, confie-t-elle. Ce qui me fait dire qu’il y a une certaine continuité dans mon parcours, l’écriture. Aujourd’hui, c’est à travers la peinture et ça me procure beaucoup de bonheur. » Un bonheur que l’artiste transmet. Chacun peut se plonger dans ses oeuvres, animé par un souvenir bien précis ou laissant son esprit voguer dans ces paysages, ces arbres en mouvement, dansent-ils peut-être. Les blancs sonnent comme des silences, charge à l’imaginaire d’investir ce vide, ou au contraire de lui laisser toute sa place. Combler détourne trop souvent les regards des vérités.
Dans son atelier, un véritable laboratoire dont l’entrée lui est réservée. La peintre ne s’interdit rien « comme je ne m’impose rien, je ne me fixe aucune règle, ni limite. » On retrouve dans sa peinture des influences revendiquées de certains artistes. Elle cite notamment « Joan Mitchell, Wolf Kahn, ou encore Chuta Kimura. » Son père, bien que « nos peintures ne se ressemblent pas », est omniprésent dans sa création, « il est souvent présent dans mon esprit quand je peins. » Très modestement, elle marche sur ses traces, sur la pointe des pieds, être "la fille de" incite à la prudence. Alexandra présente ses oeuvres au grand public depuis 2023. Après les Vieux Salins d’Hyères, c’est la galerie CIRCA qui accueille et cela jusqu’au 4 janvier 2025, l’exposition "Méditerranée". La galerie Cravéro au Pradet près de Toulon, prendra ensuite le relais. La galerie CIRCA, qui occupe les 200m2 d’un hôtel particulier du XVIIIe siècle, dans le vieux quartier de la Roquette, est un lieu emblématique d’Arles. De grandes signatures de la peinture, Arman, César, Edward Baran, William Welch ou des peintres contemporains sont exposés dans ce vaste salon où s’exprime l’oeil sûr de Marianne Hueber. « Pour « exister » dans ce lieu atypique, l’œuvre doit avant tout exprimer une personnalité forte et traduire l’univers émotionnel du peintre », tels sont les critères de sélection de la galeriste.
Exposition « Méditerranée »
Jusqu’au 4 janvier 2025, à la galerie CIRCA à Arles, vous pouvez retrouver le travail d’Alexandra Deman sur Instagram :
#alexandrademan_art