FAIT DU JOUR Le mystérieux bourg médiéval abandonné de Massargues se dévoile un peu plus
Si l’histoire de ce bourg médiéval d’importance situé sur la commune de Saint-Quentin-la-Poterie, daté d’entre les XIIe et XIIIe siècle, reste bien mystérieuse, la quatrième campagne de fouilles archéologiques qui s’achève cet été a permis d’en dévoiler quelques secrets.
Lorsqu’il a découvert ce bourg en 2004, l’enfant du pays Samuel Longepierre, alors en thèse d’archéologie, ne se doutait pas que, vingt ans plus tard, il allait encore y passer ses vacances à fouiller, avec une vingtaine de jeunes archéologues. « Je pensais que ce serait un petit village », sourit-il, et pas un bourg d’importance, de 3,5 hectares estimés, qui correspondrait aujourd’hui à une ville de la taille de Bagnols.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et grâce à l’engagement de l’association l’Uzège, qui finance une partie des travaux, une campagne de fouilles probatoires en 2018, puis trois campagnes de fouilles archéologiques en 2022, 2023 et donc 2024 ont pu se tenir, permettant d’en savoir plus sur Massargues. À la fin de cette dernière campagne, « nous aurons fouillé environ 3 000 mètres carrés, soit environ 10 % du site », précise celui qui est depuis devenu archéologue à l’Inrap.
De quoi permettre de comprendre un peu mieux le modèle urbain d’une ville médiévale. C’est là que l’intérêt de Massargues est prégnant : alors que la plupart des villes médiévales sont toujours occupées aujourd’hui, ce qui veut dire que le bâti de l’époque a pour une grande partie laissé la place à des constructions plus modernes, mais aussi qu’il est impossible d’y mener des fouilles d’envergure, Massargues a été abandonné au XIIIe siècle, puis rapidement recouvert par une végétation dense. « Notre pari était d’en tirer un modèle urbain, et nous allons arriver au modèle le plus significatif du sud de la France », affirme Samuel Longepierre.
S’il faut un peu d’imagination sur place pour se figurer la ville, on voit au sol les rues en lanières entre « des gros îlots fonciers, qui peuvent faire penser à un modèle économique agricole, avec des fermes », explique l’archéologue. Pas exactement une « ville neuve » typique, comme envisagé au début des fouilles. À Massargues, on faisait dans l’huile d’olive : plusieurs cuves ont été trouvées, et des analyses poussées sur l’une d’entre elles témoignent de la présence passée d’huile d’olive. « C’était un produit de prestige, bien plus que le vin », pose Samuel Longepierre. Vu la qualité du bâti, il est possible que ses habitants en vivaient bien, de l’huile d’olive, même si on n’y faisait sans doute pas que ça.
Justement, qui habitait à Massargues ? « Pas des cultivateurs, pas une élite aristocratique, sans doute de la bourgeoisie », avance Samuel Longepierre, qui entend par là une population éduquée, comme des notaires, empreinte de droit romain, qui vivait en communauté comme dans les villes consulaires du nord de l’Italie et de Provence. Une hypothèse que les fouilles sur la partie basse du bourg, menées cet été, tendent à alimenter.
Autre nouveauté de l’année, et non des moindres : des céramiques. Pas n’importe lesquelles, puisqu’elles viendraient « vieillir » Massargues. « Jusqu’ici, nous fouillions sur le premier niveau, et les céramiques qu’on trouvaient étaient du XIIe et du XIIIe siècle, et on pensait que Massargues n’avait duré qu’un siècle, un siècle et demi, pose Samuel Longepierre. Mais en plusieurs endroits, nous avons trouvé des céramiques qu’on considère comme datant d’entre les IXe et XIe siècles, et pas que quelques morceaux. » Alors l’archéologue se demande si sa « ville neuve est si neuve que ça » : si la datation des céramiques au carbone 14, qu’il espère pour les prochains mois, confirme ses doutes, Massargues « serait un des exemples urbains les plus anciens, voire le plus ancien qu’on connaisse » pour le haut moyen-âge.
De quoi contribuer à comprendre les origines d’une ville dont Samuel Longepierre est convaincu « qu’elle a été créée de la volonté du comte de Toulouse », au milieu de la route commerciale entre Avignon et Saint-Ambroix, puis le Puy-en-Velay. Comte de Toulouse qui, au XIe siècle, prend possession de terres dans le Gard : la moitié de l’évêché de Nîmes, la terre d’Argence, Bagnols ou encore une partie de Pont-Saint-Esprit. Massargues pourrait s’inscrire dans cette histoire, comme elle aurait aussi pu, si elle était issue du mouvement consulaire, se placer sous la protection du comte de Toulouse. On en reste toutefois au stade des hypothèses.
Car l’archéologie, c’est aussi parfois faire des découvertes qui posent plus de questions qu’elles n’en résolvent. Exemple avec ce bâti mis au jour, dans laquelle « on trouve un foyer bâti de façon très soignée, et tout autour un système de banquettes en pierres de taille qu’on a du mal à comprendre », présente l’archéologue. Les hypothèses vont de la salle d’apparat au séchoir à viande.
Restent deux questions sempiternelles quand on parle de Massargues : l’eau, et la disparition du bourg. Sur l’eau, il n’y a pas plus de cours d’eau ou de source qu’auparavant sur le site. Cependant, « on a peut-être une avancée, nous avons trouvé une canalisation dont on se demande si elle ne partait pas d’un ensemble foncier », commence Samuel Longepierre. « Les toitures étaient en lauze, on se demande s’il n’y avait pas un système de récupération de l’eau de pluie », rajoute-il. Après tout, les romains récupéraient l’eau de pluie bien avant le moyen-âge. « À la fin du moyen-âge, on considérait que l’eau de pluie récupérée des toitures était plus pure, grâce la filtration par l’évaporation, que l’eau du puits ou de la rivière », précise l’archéologue.
Quant aux causes de la disparition du bourg sans laisser de trace, au point que même les anciens en ignoraient l’existence jusqu’aux récentes découvertes, « on n’a toujours pas d’élément », tranche Samuel Longepierre. Alors faute d’élément probant, l’archéologue compte préciser les datations (« on a trouvé dans un foyer un élément daté de la première moitié du XIIIe siècle », précise-t-il), et en reste aux hypothèses. Celle de l’existence de Massargues en tant que bourg économique, qui aurait périclité en même temps que le marché qu’il exploitait, tient toujours la corde.
Bref, la liste de questions posées par Massargues reste longue. « On aura les moyens d’y répondre si on peut continuer les fouilles », veut croire Samuel Longepierre. Continueront-elles ? L’association l’Uzège le souhaite, mais la question des moyens reste prégnante. Alors Samuel Longepierre espère que le site pourra accueillir un chantier-école de l’Inrap dans les prochaines années. Il le faudra pour percer les mystères de Massargues.