NÎMES La salle cruciforme, vous connaissez ?
On appelle ainsi la « salle » qui se cache sous le sable de la piste de l’amphithéâtre de Nîmes.
Longtemps enfouie sous plus de cinq mètres d’épaisseur de matériaux et de sédiments dus à la transformation du monument en quartier d’habitation au Moyen-Âge, la salle cruciforme est découverte au début du XIXe siècle par Stanislas Victor Grangent, ingénieur en chef des ponts et chaussées chargé de restaurer le monument.
Lors du déblaiement des constructions parasites, il effectue le terrassement de la piste. C’est alors qu’il découvre l’existence des souterrains. À partir de quelques sondages isolés, il parvient à retracer un plan en forme de croix. Il émet l’hypothèse que le sous-sol aurait pu être creusé par les premiers chrétiens afin d’organiser leurs cérémonies en secret.
Quelques années plus tard, Auguste Pelet, inspecteur des monuments historiques du Gard, considère que le sous-sol ne pouvait servir qu’aux naumachies, spectacles reconstituant des batailles navales dans l’antiquité romaine.
En 1865, l’architecte des monuments historiques, Henri Revoil met à jour deux galeries se recoupant à angle droit (6,50 mètres de largeur sur le grand axe et 6 mètres sur le petit). Pour fermer les galeries, il construit des murs modernes à leurs extrémités et donne ainsi définitivement à cet espace la forme d’une croix, que l’on appelle la salle cruciforme.
Elle est couverte d’un plancher, qui sera changé plusieurs fois, puis d’une structure voûtée, soutenue par des poutres de fer à la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, le plafond est constitué d’une dalle en béton.
Sur les murs de la galerie est-ouest, Henri Revoil découvre l’énigmatique inscription « T. Crispius Reburrus fecit », soit en bon français « Titus Crispius Reburrus l’a fait ». Elle est répétée deux fois, et semble mentionner le nom du réalisateur du sous-sol sans préciser son rôle…
Était-il l’architecte, l’entrepreneur ou le commanditaire de l’ouvrage ? Lors de cette fouille, sont également trouvés des morceaux de marbre, des inscriptions mentionnant des places réservées à la corporation des bateliers, les débris d’une fuscina (fourche de rétiaire), des jetons, de nombreux fragments en marbre et deux contrepoids en plomb pesant 20 et 47 kg avec l’inscription R.P.N. Henri Revoil émet pour la première fois l’hypothèse des coulisses.
Suite aux nouvelles fouilles, dirigées par Marc Célié (Institut national de recherches archéologiques préventives), entre 1987 et 1989, l’hypothèse des naumachies est définitivement abandonnée, bien que certains amphithéâtres romains aient accueilli ce type de spectacles (Colisée de Rome, amphithéâtres de Vérone et de Mérida). La fonction de coulisses, elle, est confirmée.
Nouvelles découvertes ?
Les sous-sols ne se limitaient pas à la salle cruciforme. Ils comportaient plusieurs galeries perpendiculaires, ainsi qu’une galerie périphérique annulaire. La galerie du grand axe traversait toute la piste. L’accès se faisait aux extrémités du grand axe par une rampe en pente douce qui sera remplacée par un monte-charge. Notons aussi que les sous-sols sont aménagés à une date indéterminée après la construction de l’amphithéâtre et qu’ils sont abandonnés rapidement et remblayés sans doute à la fin du IIe siècle de notre ère.
La majorité des grands amphithéâtres possédaient des galeries souterraines couvertes d’un plancher équipé de trappes. Des monte-charges permettaient ainsi de faire apparaître sur la piste décors (rochers artificiels, arbres), combattants et animaux pendant le spectacle.
Dans la continuité de l’étude archéologique de l’amphithéâtre de Nîmes et des sondages réalisés en 2015-2016, une équipe de l’Inrap s’est donc concentrée fin 2019 – début 2020 sur la salle dite « cruciforme » située sous l’arène afin d’interpréter les aménagements souterrains de l’édifice, d’abord imaginés comme des systèmes de drainage des eaux de pluie. Il fallait aller plus loin.
Lors de ces dernières fouilles menées par l’Inrap sous l’expertise de Richard Pellé, on en a appris un peu plus. Sans trop le dire encore, l’archéologue avance qu’avant l’amphithéâtre que l’on connaît existait autre chose. Un édifice plus vieux, certainement fait de pierres et de bois, plus léger, moins pérenne. Ce proto amphithéâtre a servi de base de construction à celui qui a traversé les âges.
Ce n’est qu’après décapage des 300 m2 d’emprise que les archéologues ont mis au jour une vaste fosse de 26 mètres de long sur 3 mètres de large et près de 2 mètres de profondeurs, vestige probable d’un premier amphithéâtre mixte, en pierre et bois. Composé de quatre trous aux angles de l’espace pouvant accueillir autant de poteaux de 45 centimètres de diamètre, le site a révélé 18 encastrements où du bois a été conservé ainsi que plus de 140 objets (lamelles de plomb, clous…).
Ces éléments posent la question réellement d’un premier édifice de spectacle et de ses coulisses, antérieurs à l’amphithéâtre actuel. D’autres interrogations subsistent après cette phase de fouille, en lien avec le réseau d’égouts et l’utilisation d’un large puits.
Cet aménagement doit correspondre au « puits romain » ou « puits des wisigoths » mentionné dans les archives et sur les plans anciens. En outre, des niveaux de sols et de multiples fosses antiques liées aux aménagements techniques (monte-charge, plateforme...) ont été découverts. Ils démontrent que cet espace a été largement occupé et plusieurs fois remanié.