FAIT DU SOIR À Ganges, Emmanuel Macron reste à distance de son impopularité
Hué la veille à Sélestat, en Alsace, Emmanuel Macron n'a pas pris le risque d'un bain de foule qui aurait pu se transformer en pugilat. Le président de la République n'aura vu, de Ganges, que l'accès par Le Vigan, le collège Louise-Michel, quelques élus locaux et des élèves. Loin du bon millier de manifestants qui a fait face aux gendarmes mobiles. Mis à part une interpellation, en fin de journée, quelques patates volantes et des oeufs en direction de la police, le calme a plutôt été conservé.
Une première voiture de gendarmes "pas d'ici" dans la ligne droite entre Moulès-et-Baucels et Ganges, une seconde qui prend le temps de regarder les automobilistes avant de laisser passer... Dès 9h30, soit près d'une heure et demie avant l'arrivée d'Emmanuel Macron, le quadrillage de Ganges est assuré par la force publique. Et pas que : chaque sac de manifestant est contrôlé, les casseroles sont confisquées, la sono des camions de manifestants est retirée.
"On ne veut pas tourner la page", indique le député Michel Sala
Dans les deux rues qui longent la mairie et permettent de se rendre au collège Louise-Michel, des fourgons de gendarmes mobiles bloquent le passage, des gendarmes, bouclier en main, complètent la largeur de la rue. Il reste bien quelques casseroles et couvercles dans les mains des manifestants pour se faire entendre, alors que le slogan "Tout le monde déteste la police" commence à fuser. Les gendarmes font alors un premier usage de gaz lacrymogène, arrosant uniformément activistes et élus ceints de leur écharpe. Le maire de Mandagout, Emmanuel Grieu, en sort les yeux rougis et en larmes. "Ils m'ont grillé les yeux, je n'ai même pas pu parler avec eux", lâche le maire Insoumis. À cette heure-là, Emmanuel Macron n'est toujours pas arrivé dans la cité.
"On ne veut pas tourner la page, exprime le député de la 5e circonscription du Gard, Michel Sala. Désormais, Emmanuel Macron a 100 jours pour faire deux choses : retirer sa loi et mettre en place les réformes urgentes. Par exemple, ici, il vient voir une école alors qu'il n'y a plus de maternité et que l'urgence, ce sont les déserts médicaux." Quant à la discussion sur le travail que le président de la République a appelé de ses voeux, Michel Sala estime qu'en "refusant cette loi sur les retraites, on parle travail."
Les oeufs volent...
Alors que les premiers oeufs volent sur les fourgons de gendarmes mobiles, et que le vacarme des sifflets, tambours et sirènes est assourdissant, Florent surplombe la scène, sous son chasuble CFDT, à côté du monument aux morts situé devant la mairie. "Il faut montrer notre désaccord sur cette réforme, insiste cet ouvrier du nucléaire chez Melox. Il y a eu une étude, ces jours-ci, qui montre que les maladies professionnelles augmentent énormément. Et on nous demande de travailler plus, sans aucune chance de partir en bonne santé..." Face à la mobilisation policière, il se montre écoeuré : "On demande aux jeunes et à tous de respecter les institutions et on voit des écharpes de maire se faire gazer. Il n'y a plus de démocratie."
"Il n'y a plus de Gouvernement au service du peuple, peste Laurent de Soudorgues. Il n'y a que des multinationales et des fonds de pension. Pourtant, les gens d'ici sont là pour les retraites et le manque d'action du Gouvernement. Mais celui-ci agit toujours dans le même sens. Il pourrait y avoir au moins des saupoudrages de démocratie, il n'y a que de l'arrogance et du mépris." Et des gendarmes mobiles à chaque ruelle traversante qui empêchent toute personne d'aller vers le collège.
À 100 mètres de la mairie, devant la pharmacie, ils sont deux à garder la porte, avec des masques chirurgicaux en main. "Un type nous a laissé une boîte, on la distille à qui nous demande", sourit le pharmacien, qui tient aussi du sérum physiologique dans l'autre main pour nettoyer les yeux qui auraient baigné dans le gaz lacrymogène. Tandis que, sous un drapeau de l'union locale CGT du Vigan, Rudy souligne les manques, lui qui travaille à l'hôpital du Vigan : manque en milieu hospitalier, manque de reconnaissance, manque de salaires, etc. Et ceci alors que le président de la clinique de Ganges, Lamine Gharbi, répond au débat de Sud Radio. Loin de la vue des manifestants, bien évidemment.
L'invisible président
Au son de "Macron nous fait la guerre, et sa police aussi", une part des manifestants s'oriente vers l'avenue Pasteur, pour tenter de contourner les gendarmes et de s'approcher du collège. Mais ils font une nouvelle fois face aux gendarmes mobiles. Les oeufs volent alors à intervalles réguliers, les gendarmes mobiles ne cillent pas et laissent même revenir dans la manifestation quelques personnes égarées entre deux cordons. Pendant ce temps, la visite d'Emmanuel Macron prend du retard : la CGT a coupé le courant dans la cité, empêchant la rencontre entre professeurs et président de la République au CDI du collège. Elle aura lieu dans la cour après évacuation des élèves. Une coupure ressentie jusqu'à la polyclinique...
Alors que l'heure du départ du cortège approche, une centaine de manifestants tente de boucher les accès de la cité en se rendant route du Vigan, à proximité de la clinique justement, dans l'hypothèse où Emmanuel Macron repartirait par là où il est venu. En ville, les syndicalistes cessent petit à petit le mouvement. Mais les drapeaux CNT, ainsi que quelques Sud et CGT, et beaucoup de non-encartés parcourent la rocade de façon festive, en filtrant les automobilistes, jusqu'à bloquer partiellement le rond-point de l'Europe que seuls les véhicules de pompiers ont pu franchir sans problème.
Un peu avant 16h, le cortège présidentiel a quitté la ville. C'est le moment que choisissent les gendarmes mobiles pour se regrouper et quadriller le rond-point, en nassant un petit groupe qui bloquait la circulation vers les commerces le long de la route qui part vers Saint-Hippolyte-du-Fort. Au bout d'une dizaine de minutes, en tentant d'échapper à ce cordon, un jeune est finalement arrêté, serré par quatre gendarmes face à sa résistance, menotté et emmené en garde à vue. "Police nationale, milice du capital", scandent les manifestants. Emmanuel Macron ne les aura entendus que comme une rumeur lointaine. À l'heure du nettoyage du rond-point, il est déjà loin.