FAIT DU SOIR Polanski, Depardieu, R.Kelly… Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Affaire Polanski, Depardieu ou encore R.Kelly, P.Diddy… Peut-on écouter de la musique, regarder des films et même continuer à apprécier ces artistes qui ont été condamnés ou accusés de crimes sexuels ?
Le théâtre de Nîmes a fait fort avec cette pièce signée du metteur en scène Étienne Gaudillère et de la journaliste Giulia Foïs. L'œuvre traite d’un débat brûlant : faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Cet artiste que l’on a écouté, vu et aimé, presque comme un ami. Dans la salle, mercredi soir, à l’Odéon, jeunes et moins jeunes sont venus assister au spectacle. Preuve que le sujet traverse toutes les couches de la société. Si le débat se pose sur les artistes, c’est qu’ils bénéficient d’un traitement particulier : « Un pompier ou un gendarme accusé de viol n’exercerait plus… », souligne judicieuse Giulia Foïs.
Or, en 2020, Roman Polanski, accusé de viol, reçoit le prix de la meilleure réalisation pour son film J'accuse. Étienne Gaudillère démarre sur les chapeaux de roues : « Qui est allé voir le film J’accuse de Roman Polanski ? Qui n’y est pas allé ? Qui ne sait pas s’il faut aller voir ? » Le trentenaire parle ensuite de son expérience personnelle, qui l’a conduit à écrire ce spectacle : « En 2010, j’ai abordé ce sujet avec une amie à Lyon. Je n’étais pas d’accord, mais je n’arrivais pas à trouver les arguments. » Les armes pour lutter contre une pensée à laquelle il s’oppose.
Une femme violée toutes les 7 minutes en France
Dans sa démonstration, la troupe rappelle quelques faits, surréalistes, en réaction à la libération de la parole des victimes. Ces faits sont incarnés par des vidéos ou Unes de journaux, faisant office de décors. C'est le cas du dérapage de Mimie Mathy, expliquant ne pas avoir le « physique » pour se faire violer. Les personnes atteintes d’un handicap sont-elles à l’abri du viol ? L'actrice Catherine Deneuve publie, elle, une tribune défendant « la liberté d’importuner de l’homme ». Et puis, l’écrivain Michel Houellebecq ne manque pas de traiter les féministes « d’aimables connes ». Charmant... Pour l'empathie avec les victimes et hiérarchisation des urgences, on repassera.
D’autres écrivains ont répondu à ce déferlement d’accusations comme Virginie Despentes dans King Kong Theory : « Le jour où les mecs auront peur de se faire lacérer la bite à coups de cutter, ils sauront brusquement mieux contrôler leurs pulsions masculines ». Les violeurs ont-ils un sentiment d’impunité ? "Oui" pour Giulia Foïs qui avance quelques chiffres : « Seulement 10% des femmes victimes de viol ou d’agression sexuelle portent plainte… Une femme se fait violer toutes les sept minutes en France et deux enfants par classe ont déjà été victime d’inceste ». Ça glace le sang, non ? La journaliste s’arrête aussi sur notre vocabulaire, reflet de notre pensée : « On dit qu’une femme a été violée, mais ‘elle’ n’est coupable de rien. On devrait plutôt dire ‘le viol que tu as subi’ ». Quant au mot « pédophile » : « Ça signifie littéralement aimer les enfants (en grec, NDLR). On devrait plutôt parler de pédocriminel ».
Face à l’argument des violeurs estimant que la femme n’a pas dit « non », Giulia Foïs réplique : « C’est comme lorsque tu es avec un ami, en train de regarder la télé, et, que tu veux commander une pizza. Lui, ne le veut pas vraiment. Il ne te dit ni oui, ni non. Mais tu vois quand même qu’il n’en a pas très envie… Ça se voit sur son visage ! » Cet argumentaire et cette pièce ambitionnent de changer les mentalités et même d’agir : « Dans un système de domination, la neutralité est un pouvoir donné au dominé. » À l'endroit des personnes minimisant ces actes : « C’est bien souvent un problème de conscience. Avec de tels chiffres, forcément, on connaît tous quelqu'un qui a été la victime ou l’auteur d'un viol. »
« L'homme et l'artiste ont le même compte en banque »
Alors que faire ? Les réponses actuelles des politiques sont-elles suffisantes ? La justice a-t-elle les moyens d'agir ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Si la parole s’est plus libérée avec le mouvement Me too, suite à l'affaire Harvey Weinstein, les politiques semblent être à l’image de la société : trop frileux. Giulia Foïs prend l'exemple de la tour du plasticien Claude L'évêque à Montreuil, accusé de viol par le sculpteur Laurent Faulon : « Elle a été éteinte, puis rallumée… Le problème, c'est qu’un film, je peux choisir de ne pas aller le voir. Une telle œuvre, je n’ai pas le choix. »
Et que faire des autres ? Des vêtements et des accessoires de Coco Chanel qui a collaboré avec les nazis ? Du buste de Colbert devant l’Assemblée nationale qui a rédigé le Code noir ? « On pourrait au moins commencer par le dire et, pour Colbert, mettre une plaque à côté de l’œuvre… La cancel culture ne va pas plus loin », assure la journaliste. Cette pièce est finalement un regard de notre histoire, contemporaine et passée, pour permettre de prendre conscience. Quant au dilemme entre l’homme et l’artiste : « Les deux ont finalement le même compte en banque », relève Étienne Gaudillère.