ALÈS 20 ans après, la Gauche alésienne et quelques habitants des quartiers dressent un bilan "assez négatif" de l'ANRU
Ce vendredi matin, deux mois après la visite à Alès de la directrice nationale de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU), les élus d'opposition de Gauche de la capitale des Cévennes et quelques habitants participaient à une matinée initiée à l'échelle nationale par les députés La France insoumise dans le cadre de la tournée Allô Anru.
L’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) créée quelques mois après la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine de l'ancien ministre délégué à la Ville Jean-Louis Borloo fête ses 20 ans ! Au mitan des années 2000, peu après sa création, l'Anru a fait germer des centaines de chantiers de démolition et de reconstruction de logements dans toute la France.
En 2014, dans le cadre de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, le gouvernement annonçait la création du Nouveau Programme National de Renouvellement Urbain (NPNRU), également baptisé Anru 2. La capitale des Cévennes a bénéficié de ces deux plans d'actions majeurs. Le second, qui a débuté il y a quelques mois par un chantier au faubourg du Soleil, correspond à une enveloppe de 150M€, comprenant 52 millions de subventions et de prêts de l’État via l’Anru, 60 millions d'euros du bailleur social Logis Cévenols, 18 millions d'Alès Agglomération et 6,5 millions de la Ville, entre autres.
C'est avec l'intention de vérifier si les ambitions initialement portées par l'Anru ont été atteintes que le groupe parlementaire La France insoumise (LFI) a lancé un tour de France intitulé "Allô Anru". La tournée, par ailleurs initiée en vue de recueillir des éléments auprès des habitants afin d'alimenter un rapport qui sera rédigé puis présenté au mois de juin par le groupe LFI-Nupes, faisait escale à Alès ce vendredi matin.
À l'invitation du député de la 5e circonscription du Gard Michel Sala, François Piquemal, député LFI de Haute-Garonne, se joignait aux troupes alésiennes composées d'élus d'opposition tels que Paul Planque et Béatrice Ladrange. Le casting était aussi agrémenté de la présence de l'Insoumise Mireille Julien, ancienne élue d'opposition à la ville d'Alès. Dès 9h30 ce vendredi matin, au départ du faubourg du Soleil, la petite délégation a déambulé dans les quartiers concernés par l'Anru 2, en empruntant un tracé assez similaire à celui qui avait été dessiné par les élus locaux lors de la visite de la directrice nationale de l'Anru Anne-Claire Mialot, en mars dernier (relire ici).
Mais le satisfecit général qui régnait ce jour-là tranchait avec l'atmosphère du jour, puisqu'un débat qui avait vocation à réunir les associations, le conseil citoyen et les habitants s'est tenu en fin de matinée aux abords de la Maison des projets, bâtie au milieu du quartier des Près-Saint-Jean. Une quinzaine de personnes y a pris part. À la surprise générale, la conseillère municipale déléguée à la Politique de la Ville Soraya Haoues et le directeur général des services Patrick Cathelineau ont passé une tête en serrant quelques pognes.
Puis le député LFI Michel Sala s'est chargé de planter le décor, tout en indiquant qu'il ne s'agissait pas de dresser un "bilan complet" dans la mesure où "on est encore dans la phase 2". Son homologue de Haute-Garonne a quant à lui rappelé les enjeux initiaux portés par l'Anru : "On nous disait que ça serait le plus grand chantier civil que la France ait connu. Avec des démolitions et des reconstructions, dans le but de faire de la mixité sociale au milieu des quartiers qui s’étaient paupérisés. 20 ans après, cette démarche est-t-elle réussie ? C’est ce qu’on est en train de vérifier."
Le leader du Printemps alésien Paul Planque avait fait le déplacement avec l'intention d'être incisif, en s'appuyant notamment sur ses expériences passées à la mairie de Saint-Ouen (93) : "J’ai conduit de nombreux projets d’Anru en dehors d'Alès et j’ai pu voir tous les méfaits que ce dispositif a pu générer. Mon point de vue, c’est que ce dispositif est stigmatisant dans le sens où il pointe les quartiers populaires comme des endroits où il faudrait nécessairement faire de la mixité sociale. Or on est dans une ville où 80% de la population est éligible au logement social."
"Les gens ont eu le sentiment de ne pas avoir été assez écoutés"
En d'autres termes, Béatrice Ladrange abondait dans le même sens : "L'Anru 2 vise certains quartiers. Mais cette division en quartiers est un peu problématique car c’est l’ensemble de la ville qui doit être concerné par la rénovation urbaine !" Par ailleurs, Paul Planque pense y voir "clair" dans le "jeu" des élus locaux : "La volonté municipale pour conforter son socle électoral est de diminuer le taux de logement social sur la ville en répartissant les logements sociaux sur les communes de la périurbanité qui sont en déficit en la matière."
Ce qui, aux yeux de Béatrice Ladrange, aurait dans le même temps l'effet pervers "d'envoyer les habitants vers des logements privés qui sont souvent dans des états de dégradation avancée". Après quoi, Mireille Julien a tenté de se faire le "relais" des habitants des quartiers concernés, sondés via un questionnaire qui a fait jaillir quelques réponses. "Ce qu’il en ressort, c’est que les gens ont eu le sentiment de ne pas avoir été assez écoutés pour les destructions d'immeubles. Il y aussi la problématique de l'éloignement qui revient beaucoup. Les gens disent qu’il n’y a pas assez de transports. Que tous les commerces ferment. Ils voudraient aussi plus d'espaces verts et de lieux de rencontres", a synthétisé la dernière nommée.
Ces points évoqués, la parole était donnée aux habitants présents dans l'assistance. Après quelques secondes d'un silence assourdissant, Karim Benali, originaire du quartier des Près-Saint-Jean et se présentant comme "un chef d'entreprises qui a plusieurs petites sociétés", s'est saisi du micro. Ce qui allait suivre laisserait pantois la majorité des personnes composant l'auditoire.
"Me proposer de travailler avec Christophe Rivenq aujourd’hui, c’est non !"
"On arrive à la fin de l'Anru. Je suis complètement déçu par cet Anru, mais aussi par vous (les élus d'opposition, Ndlr). J’ai demandé un relais à l’opposition en vous interpellant pendant 20 ans et rien n’a été fait. Je suis très sceptique au sujet de cette matinée. Elle ne va rien apporter. C’est trop tard !", a balancé Karim Benali. Et d'ajouter, provoquant l'hilarité chez certains, la stupeur chez d'autres : "Si vous voulez vraiment nous faire sentir l’intérêt que vous portez aux habitants des quartiers, pourquoi ne rejoignez-vous pas l’équipe municipale actuelle en lui apportant votre expertise ? Je sais que j’en déçois certains, mais il fallait le dire. Il n’est pas trop tard pour rectifier le tir !"
Les organisateurs de cette matinée de réflexion ont éprouvé le besoin de digérer cette intervention, en laissant notamment un autre habitant du quartier de Tamaris exprimer ses doléances : "Tamaris a été oublié du premier volet de l'Anru, puis oublié du second. Comme il n'y aura sans doute pas de troisième, je risque d'être fort déçu." Une habitante du quartier du faubourg du Soleil, par ailleurs ancienne directrice du centre social de la Grand'Combe, a quant à elle décrit son quotidien rythmé par les "coups de pelle mécanique". Et d'enfoncer : "Je pense qu’on aurait pu mettre en place un plan de rénovation plutôt qu’un plan de destruction."
Visé par la sortie à contre-courant de Karim Benali quelques minutes plus tôt, Paul Planque a fini par réagir : "Me proposer de travailler avec Christophe Rivenq aujourd’hui, c’est non ! Non pas parce qu'il est Christophe Rivenq, mais parce que les orientations données dans cet Anru ne sont pas celles en lesquelles je crois." L'urbaniste de métier a une nouvelle fois brandi un exemple concret tiré de son passé de premier adjoint à la mairie de Saint-Ouen : "Quand j’ai personnellement été aux responsabilités, je me suis battu pour le passage à 40% de logement social, que j’ai obtenu."
"N'attendez rien des politiques !"
Ces différentes prises de position avaient eu le mérite de libérer la parole et voilà qu'Étienne Kretzschmar, fondateur de la cantine solidaire de Rochebelle, y est allé de son avis tranché : "La démarche telle qu’elle est menée par la municipalité souffre d’une carence évidente : le manque de communication auprès de la population." Le dernier nommé s’en était d'ailleurs fait l’écho avec virulence auprès du maire Max Roustan lors d’une réunion au Pôle culturel et scientifique de Rochebelle.
À la fin d'un débat qui aura duré plus d'une heure, une habitante du quartier des Cévennes a laissé éclater sa colère : "On a l’impression que le quartier est complètement délaissé. Les commerces disparaissent les uns après les autres. Des tours ont été détruites. Il manque celle de la pharmacie. Mais derrière, on laisse des terrains vagues ou on goudronne alors qu’on voudrait des espaces verts."
C'est à François Piquemal qu'est revenu le "privilège" de conclure ce temps d'échanges. "De manière générale, ce constat de l’Anru est plutôt négatif. Notamment en matière de communication et d’implication des habitants aux projets, alors que la démolition d’un immeuble est souvent vécue comme un drame. Car aussi dégradé soit-il, ça reste un lieu de vie pour des gens qui ont une histoire dans ce lieu." Et puis, le député LFI de Haute-Garonne a distillé un conseil qui relevait davantage de l'admonestation : "N'attendez rien des politiques ! C’est les habitants qui se mobilisent et s’organisent pour mettre la pression au pouvoir en place. Les luttes offensives et gagnables sont celles qui sont enclenchées par les habitants !"
En marge de ce débat, une petite conférence de presse a été organisée. À la question "Qu'auriez-vous fait différemment avec l'argent de l'Anru si vous aviez été au pouvoir ?", les protagonistes de la matinée ont tour à tour répondu. Parfois à côté.
François Piquemal : "J'ai entendu des choses que j'entends partout où je passe. C'est à dire le sentiment d'un manque de consultation pour l'Anru. L'avis des gens n'a pas réellement était pris en compte. Bien souvent, les gens ne comprennent pas ce langage assez technocratique. La base, ça aurait été de faire ce travail de vulgarisation auprès d'eux afin qu'ils s'emparent de l'Anru. Ce n'est vraiment pas mon propos de dire que rien n'a été fait. Des investissements massifs ont été opérés. Ils ont impacté au minimum 7 milions de personnes en France. Il faut donc interroger ces personnes pour connaître leur avis. On ne peut pas redonner un blanc seing à l'Anru pour 20 années supplémentaires si on s'aperçoit que son action est très réduite."
Michel Sala : "Ça ne fait que 10 mois que je suis député. Je suis un peu dépassé par les conventions qui ont été signées, j'arrive un peu après la bataille. Mais je retiens deux choses. Le problème de la concertation d'abord. Le bilan est assez négatif. La deuxième chose, c'est l'objectif de fond : c'est le problème du logement social. La vérité c'est qu'on va diminuer le nombre de logements sociaux à Alès et ça ce n'est pas dans les gènes de cette ville alésienne."
Paul Planque : "Je ne vais pas répondre à la question, car ça serait tomber dans le piège de présupposer que j'aurais la réponse à la question. Aujourd'hui, c'est avec les habitants qu'il faut construire. Ce sont les Alésiens qui vont trouver les solutions. La première des choses à faire, c'est d'établir uné véritable concertation en donnant tous les éléments de la réflexion, en traduisant des choses complexes, en les explicitant bien de façon à poser les bons termes de la discussion aux Alésiens, de manière à leur permettre de développer un projet de ville. Le résumé de la politique du logement social à Alès, c'est une amélioration du cadre de vie en ce qui concerne les espaces publics, mais c'est aussi la diminution par l'Anru du nombre de logements sociaux. On dit aux gens des quartiers qu'on ne veut plus d'eux et qu'on veut d'autres personnes. Le projet des Hauts d'Alès que nous avons combattu en était un parfait exemple. Il était dit très explicitement dans le document du PLU que la municipalité voulait faire venir d'autres catégories sociales sur Alès."