FAIT DU JOUR Hervé Rème, ancien prêtre de la cathédrale d'Alès : "La foi ne nous dispense pas d'être des militants au service de l'humain, au contraire"
Âgé de 65 ans, Hervé Rème vient de quitter la cathédrale d'Alès après neuf ans de bons offices. Une période au cours de laquelle ce grand connaisseur du Gard a vu l'église catholique être prise pour cible par le terrorisme islamiste, composer avec le Covid ou recevoir le rapport Sauvé sur la pédocriminalité en son sein. Entretien bilan avec un homme de paix, qui pourrait bien être de retour dans le Gard dans trois ans.
Objectif Gard : Quand vous avez été nommé à Alès, vous connaissiez déjà la ville ? Et sa sociologie ?
Hervé Rème : Je la connaissais un peu, la devinais plutôt. La ville n'a évidemment pas la même sociologie que Villeneuve-lès-Avignon, d'où je venais. Mais j'y étais tout de même venu auparavant pour des célébrations diocésaines ou pour participer à des réunions.
Comment carcatériseriez-vous la communauté catholique alésienne ?
Le grand avantage, c'est sa qualité. Et qu'elle est assez mixte au niveau sociologique. Elle n'est pas, comme dans certaines paroisses, marquée uniquement par des personnes bénéficiant d'un haut revenu. Ici, il n'y a pas de différence sociologique entre la composition de la ville et les personnes qu'on va retrouver dans l'église.
"À Alès, une tradition d'église populaire"
C'est un peu une église au public mélangé, "à l'ancienne" ?
C'est vraiment la sociologie locale. Les gens ne viennent pas de l'extérieur pour prier à l'église d'Alès. C'est plutôt une tradition d'église populaire. D'ailleurs, les gens viennent à l'église dans la semaine, mais pas forcément à la messe.
Ici, la présence de l'église protestante reste forte. Est-ce que ça crée une ambiance particulière pour un homme d'église ?
Nous avons eu de très bons liens avec les pasteurs, même s'il y a eu un creux au moment du Covid. Mais on a bien retrouvé, ensuite, un rythme de travail. C'est une dimension sympathique et fraternelle, même basique. Ce qui nous unit, c'est notre foi commune. Ce qu'on ressent, c'est qu'on prie ensemble. Et que ce qui nous rassemble est bien plus important que ce qui nous sépare.
Une foi qui vous rapproche aussi d'autres religions, comme l'islam ?
C'est forcément un peu différent avec les autres religions, parce qu'avec les protestants, nous sommes sur le même registre. Mais on ne peut de toute façon avancer, dans la foi, qu'en dialogue avec les autres. Je suis convaincu que la vérité n'appartient à personne.
Durant votre période alésienne, il y a eu l'assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, en 2016, ou l'attentat à la basilique de Nice, en 2020. Comment avez-vous traversé ces traumatismes pour votre institution ?
Le traumastisme le plus grand, pour moi, s'est plutôt joué du côté de l'enquête sur la pédocriminalité dans l'église (*) que sur ces questions-là. Parce que celles-ci sont un risque lié à la foi, qui fait partie de la foi. Quand Jésus rassemble ses disciples, il ne leur promet pas une vie tranquille. À la mort du père Hamel, des amis inquiets m'ont appelé. Mais je n'avais pas l'impression qu'il fallait que je fasse attention à moi. Plus généralement, ce que je ressens, c'est une crainte profonde liée à la situation du monde. C'est un monde compliqué, où tout le monde a peur. Le risque serait de prononcer un "tous aux abris". Alors que, si on est dans la foi, on est aussi dans l'espérance... Tout ce qui nous conduit à des discours négatifs est donc à proscrire, pour ne pas sombrer.
"On se dit surtout que l'Église, qui aurait dû être dans la protection du plus faible et du plus petit, n'a pas toujours été à la hauteur"
Vous parlez de traumatisme à propos des révélations de pédocrimanilité dans l'église, au sein même de votre "famille". Pouvez-vous détailler ?
Ce fut très douloureux, une période très compliquée pour moi. On s'est senti salis. On se dit surtout que l'Église, qui aurait dû être dans la protection du plus faible et du plus petit, n'a pas toujours été à la hauteur. Bien sûr, tous les hommes d'église n'ont pas été des prédateurs. Mais quand il y en a, c'est toute la famille qui est salie.
Vous-mêmes, vous avez eu des doutes a posteriori sur certains des collègues que vous aviez côtoyé ? Est-ce que la suspicion s'est installée ?
Non. Quand je fais la liste de ceux que j'ai fréquentés, je me dis "ce n'est pas possible". Mais on ne sait jamais vraiment ce qui se cache dans le secret de la personne.
"Lourdes est une oasis où on vient puiser ce dont on a besoin"
Vous êtes à Lourdes depuis le début du mois. Que connaissiez-vous de la ville, avec son sanctuaire, et qu'avez-vous découvert ?
Hier (jeudi, NDLR), une personne que je connais m'a appelé parce qu'elle avait appris que j'étais à Lourdes. Elle m'a dit : "Ici, ce qui m'émerveille, c'est la patience des gens, l'impression d'un autre monde". Lourdes est un ilôt de paix, de rencontre et d'universalité. Il existe une immédiateté de la rencontre qu'on n'a pas ailleurs. Par exemple, quand je vais dans la grotte la nuit, quand elle est éclairée à la bougie, ça dégage une paix très forte. Lourdes est une oasis où on vient puiser ce dont on a besoin. L'essentiel de mon travail, c'est d'écouter les gens en confession, environ une heure et demie par jour.
L'analogie est facile, mais n'avez-vous pas l'impression d'être cerné, à Lourdes, par les "marchands du Temple" ?
Alors, mon avis est très personnel, mais je ne suis pas gêné par cet aspect-là. Parce que quand on circule en ville, y compris entre les bouteilles en plastique d'eau bénite, on se dit "il y a de la vie". Quand on voit les villes moyennes d'aujourd'hui où il ne reste parfois qu'un commerce, c'est positif. Le commerce, c'est de l'échange. Même si c'est parfois le musée des horreurs... Mais ça ne me gêne pas. On nous fait bénir des bouteilles d'eau, je n'avais jamais fait ça ! Mais c'est une démarche simple et naïve qui permet le contact. Puis, on parle des réalités de la vie, éventuellement des souffrances, etc.
Pensez-vous revenir dans le Gard ensuite ?
Je suis à Lourdes pour une mission de trois ans, qui peut être renouvelée. Je suis prêtre diocésain, donc dépendant de l'évêque : si celui-ci me rappelle, je reviens. On le saura au dernier moment. Il y a une question de besoins mais aussi d'âge : j'aurai près de 69 ans, et même si nous ne connaissons pas vraiment la retraite, je lèverai peut-être le pied. Et, de toute façon, quand je reviendrai dans le diocèse, j'aurai forcément une autre affectation.
Dans une conjoncture, qui se poursuit, de désaffection des églises, c'est quoi être catholique aujourd'hui ?
Je suis une personne qui a sur le monde un regard d'une bienveillance exceptionnelle, qui est capable de dire "là où tout fout le camp, il y a une espérance". La désaffection existe. Mais, en même temps, à Alès l'an prochain, à Pâques, il y aura dix baptêmes de personnes adultes. L'église a encore, selon moi, quelque chose d'essentiel à donner. La foi ne nous dispense pas d'être des militants au service de l'humain, au contraire...
(*) Le rapport Sauvé, publié en octobre 2021, fait état de 216 000 victimes d'actes pédocriminels au sein de l'église, entre les années 1950 et 2020.