Publié il y a 1 an - Mise à jour le 22.06.2023 - Propos recueillis par François Desmeures - 5 min  - vu 1054 fois

L'INTERVIEW Nicolas Ferran, directeur de la Clède : "En 2022, le taux d'activité a absolument explosé"

Nicolas Ferran, seul directeur de la Clède depyuis le 1er janvier 2022

- François Desmeures

Ce mercredi, la Clède tenait son assemblée générale à la suite de laquelle a été présentée la Lampisterie, laboratoire d'innovation sociale. Le directeur de la structure, Nicolas Ferran, a pointé une hausse d'activité impressionnante de l'association en 2022, elle dont l'action n'est jamais en crise. Le tout dessinant un contexte social très tendu. Il revient plus en détail sur les raisons de cette hausse de près de 20 % des activités de la Clède, et de 40 % de sa fréquentation. 

Nicolas Ferran, seul directeur de la Clède depyuis le 1er janvier 2022 • François Desmeures

Objectif Gard : Dans votre discours qui ouvrait le moment convivial de l'assemblée générale, ce mercredi, vous avez évoqué une activité en hausse de 20 % pour l'année 2022 (relire ici). Cette moyenne concerne-t-elle tous les champs d'activité ?

Nicolas Ferran : Quand on fait le bilan de la hausse, en prenant tous les indicateurs de mesures, qu'on additionne tout ça, le taux d'activité a absolument explosé en nombre d'accompagnements, de réception, d'accueil téléphonique, etc.  

L'une des évolutions que vous souligniez, c'est que les gens ont tendance à venir directement frapper à votre porte, sans forcément passer par les structures orientatrices... ?

Effectivement, on a normalement des mécanismes d'orientation qui sont ciblés : Agence régionale de santé, direction départementale de l'emploi du travail et des solidarités (DDETS), etc., qui repèrent les gens. Ils sont canalisés, mis sur liste d'attente. J'étais à l'assemblée générale des acteurs de la solidarité, à Paris la semaine dernière, le directeur de la Banque de France a parlé. Pour lui, il faut se réjouir du plein emploi, du pouvoir d'achat et sa baisse relative... Il pose ses chiffres. Mais nous, ce qu'on voit, ce sont de nouveaux précaires qui arrivent. Ce n'est pas rien s'il y a une explosion des sollicitations en direct. Ce sont des gens qui ne poussaient pas forcément la porte avant. 

Vous faites donc un lien entre plein emploi et préacrisation des travailleurs ?

Le plein emploi, mais lequel ? C'est toute la question de la nature des emplois, du niveau de rémunération, du pouvoir d'achat. Quand on voit les situations de précaires qu'on accompagne, une fois qu'ils ont mis leur argent dans le logement et l'alimentation - là où l'on voit les plus forts taux d'inflation - ils ne capitalisent pas... Quand on parle de plein emploi, à 1 300 ou 1 350 € tout juste, les gens ne s'en sortent pas. On avait déjà vu ça sur le service d'accueil de jour des exclus (Saje) les années précédentes. On sentait que des portes s'ouvraient, se refermaient un peu trop vite... On a fait des travaux, financés par l'État pour 100 000 €, dans le cadre de la politique d'humanisation des accueils de jour qui est portée par l'État. On espère que ces nouveaux précaires-là puissent aussi pousser la porte parce que c'est le filet d'accueil. Sinon, certains dorment dans les voitures, ça peut être vous ou moi.

"Ça devient de plus en plus compliqué de recruter"

Parmi les salariés précaires figurent aussi ceux du secteur social et médico-social. La Clède parvient-elle encore à trouver des salariés, pour un métier souvent difficile et mal payé ?

Ça devient de plus en plus compliqué. Parce que la question posée désormais, quand on recrute, c'est "est-ce que l'emploi est "ségurisé" ou pas ?" Or, la réalité, c'est qu'on a une multiplicité de financeurs et tous ne sont pas allés mettre les efforts financiers pour valoriser. Ce qui provoque une iniquité dans l'association : au sein d'un même service, certains collègues sont financés par un dispositif État, qui finance le Ségur ; un autre peut être financé sur un budget de la caisse d'allocations familiales, ou du Département, qui n'ont pas les financements. Ce n'est pas jeter la pierre aux départements : ils ont des recettes dynamiques qui diminuent, ils n'ont plus de péréquation nationale. Donc, chacun fait avec son budget. 

Lors de l'assemblée générale d'hier, mercredi 20 juin • François Desmeures

Dans ce cadre, qui n'est pas forcement glorieux, que change la Lampisterie dont vous avez annoncé la création hier ?

Dans tout ce bazar et cette incertitude, au milieu des contraintes et de l'orientation des politiques nationales qui peuvent aller à l'encontre de ce qu'on veut faire, la Clède est une association qui a toujours innové, qui ne s'est jamais satisfaite de l'état actuel des choses pour proposer des formes d'accompagnement différents. Mais ça s'est toujours fait à bas bruit : les innovations ont eu lieu, ont souvent été intégrées dans des modalités d'accompagnement nouvelles. Et ça, il faut qu'on sache le valoriser. Parce que, aujourd'hui, on est aussi dans une concurrence très accrue, les ressources publiques se tarissent mais le mode d'aministration des finances publiques change avec les appels à projet. 

"Les associations n'attendent pas les appels à projet pour être innovantes"

Justement, on vous a entendu pour le moins circonspect sur le modèle des appels à projet... 

C'est la concurrence de tous contre tous. On a des gros groupes nationaux qui arrivent sur le marché ou sont déjà implantés sur plusieurs territoires. Ils ont sans doute un savoir-faire mais ils ne font pas plus que ce que nous faisons depuis des années sur le terrain. Les associations n'attendent pas les appels à projet pour être innovantes, elles le sont de fait puisque elles sont là pour repérer les besoins qui sont peu ou pas suffisamment couverts, et pour proposer des choses nouvelles. Ce sont les associations intermédiaires, les petites associations du territoire, qui font vivre les démocraties locales. Ce qui se passe depuis 15 ans - comme l'écrit Viviane Tchernonog, une économiste à la Sorbonne - c'est une polarisation entre les très très grosses associations, qui captent 95% des subsides publics, et sont de moins en moins nombreuses, par fusion/absorption. Et les petites associations de quartier et de loisirs, qui vivent de quelques subsides publics, ou des associations intermédiaires comme la nôtre - qui ont du salariat et une expertise mais sont à taille humaine et ont une implantation sur la durée sur le territoire - elles fondent le plomb parce qu'elles n'ont plus de trésorerie pour fonctionner. Du coup, la question qui se pose pour nous est "si on ne valorise pas notre plus-value et que, nous aussi, on sait inventer des réponses nouvelles comme l'association parisienne qui bosse aussi en Haute-Loire, est-ce qu'on ne va pas être convoqués par notre autorité de tutrelle pour nous dire regardez ce qui se fait ailleurs, pourquoi vous ne le faites pas ici ?" Eh bien si, on le fait - mais les rapports d'activité ne sont pas forcément lus... Donc, il nous faut mettre en avant tout ça, c'est l'enjeu du laboratoire pour nous. 

"Le travail social doit s'enrichir des échanges avec les universitaires"

Vous avez également signalé que ce serait un outil d'échange et de partenariat...

L'autre enjeu, pour nous, c'est d'ouvrir un peu les portes et les fenêtres. Le travail social doit s'enrichir des échanges avec les universitaires. Les sciences sociales nous apportent des méthodes de mesure et d'évaluation qu'on n'a pas, notamment quand l'effet n'est pas immédiat mais perlé. Et puis, ça permet aussi une rencontre avec les acteurs du territoire - et à Alès la culture partenariale est très forte, on ne pourrait peut-être pas faire de la même façon sur le territoire. 

Dans les nouveaux besoins que vous avez vu apparaître dans cette dernière année, à quoi pensez-vous à titre d'exemple ?

Je pense à deux besoins structurels : la question de la santé, qui est déjà grave pour le commun des Français. Mais pour les plus précaires, c'est la catastrophe : manque d'accessibilité, manque d'offre de soins... On n'a plus de médecin traitant. On a des populations de plus en plus touchées par des questions psychiatriques et, vu l'état de la psychiatrie en France... ce qui nous pose des questons dans l'accompagnement parce qu'on n'a pas des équipes qui sont formées à ça, et ça apporte des situations de conflit, de grande violence, de mise en danger des salariés et des autres... L'autre grande question tourne autour de la dématérialisation, qui est affolante : on présente ça comme une avancée... Quand on voit le nombre de personnes âgées ou étrangères, qui ne parlent pas français, et à qui on dit "c'est sur cette application là..." On a passé 40% de notre activité à accompagner les personnes pour bien remplir, et au bon moment, parce que sinon, quatre heures après, la procédure est caduque... On veut aussi mettre en avant ces situations de déclassement. 

Propos recueillis par François Desmeures

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