FAIT DU JOUR Dans le Gard, ces héros du quotidien face au Covid-19
Face à la crise sanitaire sans précédent qui frappe notre pays, zoom sur ces femmes et des hommes qui, par leur profession, continuent sans relâche d’assurer leur tâche. Témoignages de deux infirmiers libéraux, d’un chauffeur-routier et d'une hôtesse de caisse.
Notre tour d'horizon commence à Villeneuve-lèz-Avignon. Arnaud Renevey, 36 ans, y est infirmier libéral. Il le reconnaît bien volontiers, pour l’instant la situation du côté de la cité cardinalice est encore gérable sur le front du covid-19. « Nous avons la chance sur notre secteur d’être encore dans une sorte de phase 2, nous avons des cas par-ci par-là, mais pas de cluster formé », explique-t-il. Pour autant, il a pris l’initiative, avec quatre soignants de son secteur géographique, de créer un réseau de soignants de ville.
Un réseau de soignants bénévoles qui fait notamment dans le suivi de patients touchés ou en suspicion de covid-19, histoire de décharger les médecins et le SAMU. Un réseau monté la semaine dernière, et qui a déjà permis de sauver une vie : « la semaine dernière, nous avons eu le cas d’une dame de 45 ans suivie depuis trois-quatre jours, mais sans symptômes graves, rembobine l’infirmier. Mais vendredi dernier, elle a appelé une de nos bénévoles pour dire qu’elle n’arrivait plus à respirer. » Or, impossible de joindre le SAMU, ni le médecin traitant, débordés. La soignante bénévole, anesthésiste dans le civil, joindra le SAMU pour elle, lui permettant d’être prise en charge. « Aujourd’hui elle est en réanimation, sous respirateur », ajoute Arnaud Renevey.
Outre cette mise en réseau, Arnaud Renevey continue ses tournées. « Elles ont été modifiées pour faire en sorte qu’un personne dédiée s’occupe des covid-19, et une autre assure les soins », explique-t-il. Pour l’heure, il n’a pas eu affaire à des patients atteints par le coronavirus. Ce qui ne l’empêche pas de prendre toutes ses précautions : outre les blouses, charlottes et sur-chaussures, l’infirmier sort avec une visière en plexiglas qui a été confectionnée par une relation. « On ressemble plus à des spationautes qu’à des infirmiers », glisse-t-il.
Quant aux masques, pour l’heure tout va bien : « nous arrivons à nous débrouiller avec les moyens du bord, il y a eu beaucoup de dons, dernièrement un kiné nous a donné 800 masques par le biais du conseil municipal », précise celui qui est par ailleurs conseiller municipal à Villeneuve.
Arnaud Renevey prend toutes les précautions possibles pour ne pas devenir à son tour un vecteur du virus. Dans une ville et un canton à la population plutôt âgée, les conséquences pourraient être encore plus dévastatrices qu’ailleurs. « Nous avons une responsabilité très grande, affirme-t-il. Nous sommes les héros du jour, mais des héros éphémères car nous pouvons être vecteurs du virus et ça commence à faire peur aux gens. » Il en veut pour preuve les témoignages de soignants, sommés par leur voisins de quitter leur habitation le temps de l’épidémie.
Tout ça, Arnaud Renevey s’efforce de ne pas y penser, et préfère se préparer, avec ses confrères et les soignants de ville de Villeneuve et des alentours, à la vague de contaminations annoncée. En espérant encore « n’en prendre que les embruns. »
À Nîmes, les infirmiers aussi s'organisent...
Arnaud Renevey n'est pas le seul à avoir lancé un groupe sur les réseaux sociaux. Il y a quelques semaines, Ludovic Blanchard, infirmier libéral à Nîmes, a créé « Cellule de crise IDEL » sur Facebook. « Au départ, j’ai créé ce groupe d’entraide entre infirmiers et kiné pour s’aider si l’un de nous tombait malade », explique le professionnel de santé. Dépourvu souvent de masques et de gants - devenus rares en France - « les infirmiers ont été une communauté un peu oubliée », estime le trentenaire, qui rappelle : « nous sommes le dernier rempart à l’hôpital. Lorsque les patients sont maintenus à domicile, c’est nous qui venons les soigner. »
Désireux d’aider sa profession, Ludovic Blanchard a fait jouer ses réseaux : « Peugeot Nîmes m’a fourni en protection pour la voiture et en masques. Certes, ce n’est pas du matériel médical mais ça permet de nous protéger », relève l’infirmier qui a près de 36 passages à domicile chaque jour. En fonction des arrivages, il fournit sa communauté. « Je donne le matériel à qui veut venir le chercher à mon domicile. » Pour rejoindre son groupe cliquez sur https://www.facebook.com/groups/498421190845567/ .
Surcroît d'activité pour le routier Claude Roux
Claude Roux, 53 ans, est à la tête d’une entreprise de transport routier à Vénéjan, près de Bagnols. Pour l’heure, il ne se plaint pas : son activité, constituée à la fois de transport agro-alimentaire pour une célèbre marque d’eau en bouteille, de camions-benne et de transport de containers tourne encore plus ou moins. « L’activité benne est arrêtée car tous les marchands de matériaux sont fermés, explique-t-il. Sur les containers, il y a de moins en moins de bateaux, d’import et d’export, donc l’activité va s’éteindre plus ou moins. »
Claude Roux est sauvé par les eaux en bouteille : « il y a eu un surcroît d’activité », affirme-t-il, tout en qualifiant les quinze derniers jours de « pas faciles, avec une tension importante chez tout le monde. » Notamment quand il s’est agi d’équiper ses conducteurs en gants et gel hydro-alcooliques, qu’il a eu toutes les peines du monde à dénicher. « Les masques, ce n’est même pas la peine d’y penser », souffle-t-il, tout en précisant que certains de ses conducteurs s’en sont procurés par leurs propres moyens.
Au quotidien, Claude Roux estime que les risques pris par lui et ses quinze chauffeurs sont limités. « Sur les ports nous n’avons aucun contact physique, nous ne voyons personne, et là où nous livrons nous ne rentrons plus dans les bureaux », détaille-t-il. Il a toutefois fallu se battre pour obtenir la réouverture de quelques aires d’autoroutes et leurs commodités, nécessaires aux routiers. En tant qu’administrateur de la Fédération nationale des transports routiers d’Occitanie, Claude Roux est monté au créneau et a obtenu gain de cause.
Et s’il est relativement épargné par la crise pour l’instant, notre transporteur sait qu’il s’en sort mieux que beaucoup d’autres : « au niveau national, 59 % du parc de poids-lourds est arrêté, pour l’instant on passe entre les gouttes, mais on vit au jour le jour. » En attendant, Claude Roux et ses hommes arpentent des routes bien moins saturées que d’habitude : « il n’y a presque que des camions, lance-t-il. On est tranquilles. »
Il suffit de passer à la caisse...
Il a suffit d'une simple interrogation « Alors vous tenez le coup ? » pour que la caissière du supermarché, s'inonde de pleurs. Et il y eut dans cette file d'attente disciplinée comme un silence supplémentaire et gêné. Comment poser désormais cette simple question sans réaliser d'un coup l’obscénité contenue.
Quelques jours de confinement ont donc transformé une banalité sociale en indiscrétion montrant d'un coup la vulnérabilité des rapports sociaux. Signe réconfortant peut-être, tous, dans cette file d'attente, contemplaient le volume du caddy parfois surchargé. Et derrière le plexiglas installé quelques heures plus tôt il y avait surtout le visage de cette caissière dont les yeux disaient l'angoisse. « Rendez-vous compte, je suis seule, mes deux enfants sont à la maison, confinés, personne avec eux et moi ici sans masque avec la trouille au ventre », dit-elle.
Un peu plus tard, sur le parking, une conversation entre deux conducteurs assis au volant, portières ouvertes. « Une caissière était en larmes », disait l'un. « Elle n'avait pas de masque », répondait l'autre... « Et les politiques qui s'inquiètent d'annuler les élections reprit le premier, t'as vu y avait plus de monde a se balader dans les rues que dans les urnes. » Et tout était dit dans cette séquence vécue sur un parking de supermarché. Suffit de passer à la caisse donc.
Thierry Allard, Anthony Maurin et Coralie Mollaret