FAIT DU JOUR Aux Angles, des riverains s'élèvent contre un projet immobilier à la Font d'Irac
Aux Angles, les riverains de la Font d'Irac montent de nouveau au créneau. Un projet de 60 logements (dont 24 à vocation sociale et 36 en accession à la propriété) est envisagé à la place de 3 hectares de forêt. Un collectif informel s'est monté en octobre et a rédigé une pétition, cumulant plus de 550 signatures aujourd'hui.
La Font d'Irac est un quartier anglois, à l'écart de la ville, niché entre la 2x2 voies reliant Avignon et la route de Beaucaire. Déjà en 2016, ses riverains s'étaient élevés contre un projet de piste BMX à cet endroit. Désormais, le nouveau collectif s'oppose à la création d'un projet immobilier sur la parcelle boisée prénommée "queue de l’île" et veulent l'arrêt de cette OAP (orientation d'aménagement et de programmation).
Le collectif de défense a été créé juste après le conseil municipal du 13 octobre. Pendant cette séance, les élus ont voté une délibération autorisant le notaire d'étudier et réaliser le compromis de vente de la parcelle communale pour 1,5 million d'euros à la société Envol afin qu'elle construise les logements en R+1 et R+2. Le collectif a alors fait signer une pétition qui a recueilli 145 signatures sur les 160 foyers du quartier de la Font d'Irac. Une autre pétition est aussi postée en ligne.
Une parcelle bordant un corridor migratoire
Quelques jours plus tard, une délégation est reçue par le maire, avec de nombreux arguments à présenter. Tout d'abord écologiques : c'est un bois de ripisylve avec des arbres feuillus à une centaine de mètres du bord du Rhône. La parcelle se situe au bord d'un corridor migratoire, comme le signifie le ScOT (Schéma de cohérence territoriale) et en limite de Zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) du fleuve.
"C'est incroyable de voir ce projet à l'heure où on parle de transition écologique, de préservation des espaces naturels... Il y a les paroles et les actes", déplore un riverain qui habite le quartier depuis plus de 20 ans. Marc Dominguez, aussi membre du collectif et ancien ingénieur forestier, se demande comment la commune pourrait compenser écologiquement la perte de cet espace avec des terres comparables. Il s'interroge aussi sur le fait que la commune ait oui ou non fait une demande de défrichement auprès de l'État, préalable obligatoire à toute autorisation administrative. "On a l'impression que cela passe sous les radars", indique Marc Dominguez.
Un quartier classé en zone inondable
L'autre gros point noir du projet avancé par les riverains, c'est le risque de submersion. Le quartier de la Font d'Irac est déjà classé en zone inondable. "Piégé" entre les digues du Rhône et la voie ferrée (qui est surélevée de plusieurs mètres), le lotissement pourrait subir l'effet cuvette en cas de crue : l'eau qui rentre peut difficilement sortir. Abattre des arbres et imperméabiliser la parcelle n'arrangeraient rien.
Que se passerait-il en cas de forte crue du Rhône ? Ou si une ou plusieurs vannes du barrage de Vallabrèges étaient en panne ? Ou si une digue s'affaissait ?, interroge Paul Caparros, ancien ingénieur à la CNR et habitant de la Font d'Irac depuis 20 ans. "Les digues ont été fabriquées dans les années 70 avec du remblai. Elles peuvent avoir été dégradées par les effets du temps ou par les animaux. (...) Les contrôles des digues ont leurs limites, ils sont réalisés par temps calme (niveau du Rhône bas) sur des digues qui ne sont pas en charge", poursuit-il.
Il s'inquiète aussi d'une crue de la Durance, qui se jette dans le Rhône pas très loin de là, un peu après le pont TGV : "Le flux d'eau arrivant à la perpendiculaire du Rhône agit comme un barrage qui ralentirait l'écoulement du fleuve et entraînerait une hausse des niveaux d'eau en amont au niveau du quartier de la Font d'Irac."
Déjà une réserve sur ce projet dans le PLU
Déjà en 2020, lors de l'élaboration du PLU (Plan local d'urbanisme) des Angles, le commissaire-enquêteur, Alain Oriol, avait émis une réserve à la réalisation de l'OAP de la Font d'Irac. Dans son rapport, il écrivait : "En raison du risque d'inondation du Rhône, bien que les digues de protection CNR soient à priori considérées comme sûres, j'estime qu'il est logique et raisonnable de limiter autant que faire ce peut l'accroissement de la population sur les bords du Rhône. Il est potentiellement dangereux d'accroître les possibilités de construction de logements (...)."
Il avait listé bon nombres d'inconvénients à construire 60 logements supplémentaires à cet endroit, qui est d'ailleurs une ancienne zone humide (un ancien lac a été comblé de gravats, NDLR). À savoir l'abattage de nombreux arbres "ce qui porte atteinte à la biodiversité et à la trame verte du bord du Rhône" ou encore la présence du collecteur principal d'eaux usées commun à Villeneuve-lez-Avignon et aux Angles qui traversent le secteur. "Cela n'est pas rédhibitoire en soi mais impose de lourds travaux de raccordement", expliquait le commissaire-enquêteur.
Celui-ci évoquait aussi le fait que "le terrain choisi pour l'opération constitue actuellement l'exutoire des eaux de ruissellement du quartier (aléa fort mis en évidence par l'étude de risque et par les habitants). Elles se cumuleront avec celles de l'opération..."
La pression de la loi SRU ?
En clair, construire des logements supplémentaires à cet endroit ne lui semble pas judicieux. Il y verrait davantage une activité autour du tourisme, des loisirs et des sports. Les riverains déplorent que plus d'un million d'euros HT soient consacrés à l'aménagement d'un parc paysager, près de Paul-Gache, "alors qu'on a tout le potentiel ici à Font d'Irac". Quant à l'aboutissement du projet immobilier, le commissaire-enquêteur concluait : "D'autres possibilités d'aménagements existent sur la commune."
Les riverains regrettent l'absence de concertation avec la population et le collectif a pris les services de l'avocat avignonnais, Me Alexandre Coque, pour défendre leur action. Celui-ci a lancé un recours gracieux dans lequel il demande au maire de provoquer une réunion du conseil municipal afin de réexaminer le projet OAP de la Font d’Irac et de le retirer du PLU. En l'absence de réponse ou en cas de réponse négative, l'avocat pourra attaquer le PLU au tribunal administratif.
Paul Mély, le maire des Angles, est formel : il ne retirera pas l'OAP de la Font d'Irac du PLU. La loi SRU impose à certaines communes un taux d'au moins 25 % de logements sociaux. Aux Angles, on est encore loin du compte : "On est à tout juste 10 %. Et encore il y a dix ans, on était à un peu moins de 8 %. Mais on n'atteindra jamais les 25 %, il faudrait construire que des logements sociaux", déplore Paul Mély. Chaque année, la municipalité s'acquitte de pénalités parce que le taux n'est pas atteint, soit 300 000 €. En vendant des terrains pour en construire, la commune arrive tout de même à alléger la facture. Mais ses réserves foncières sont assez limitées.
Une réunion publique d'ici fin février
Le maire veut rassurer les riverains de la Font d'Irac: "Ce seront des logements en R+1 et R+2 sur 3 hectares, cela reste raisonnable. On a déjà vu construire plus de 300 logements sur des surfaces similaires, notamment le boulevard Diderot ou Céréalis. Le projet de la Font d'Irac est très beau visuellement et s'intègre bien. Il y aura un peu plus de circulation oui, mais cela ne veut pas dire qu'il y aura des problèmes de circulation." L'édile veut favoriser la mixité sociale un peu partout dans la commune, plutôt que de "créer des quartiers". D'autant que la démographie des Angles est plutôt dynamique. Sa population totale est passée de 8 681 habitants l'année dernière à 8 714 cette année, selon l'Insee.
Paul Mély rappelle que si ces 3 hectares sont construits, les 10 autres hectares seront conservés et sont même basculés en "zone naturelle" pour le garantir. Suffisant, selon lui, pour permettre à la faune sauvage de gambader encore librement dans le secteur. "C'est un aménagement mûrement réfléchi. On a même racheté un terrain à la CNR (Compagnie nationale du Rhône, NDLR) pour avoir une zone tampon de 50 mètres par rapport au risque feu de forêt", ajoute-t-il.
Concernant le risque inondation, il fait confiance aux digues aménagées le long du Rhône et rappelle : "La Font d'Irac est en zone inondable, c'est vrai, mais constructible. Les affluents du Rhône sont plus hauts que chez nous. Si une crue millénaire se produisait, on serait averti en amont. Il y a un risque pour les habitations mais pas pour les personnes." D'ailleurs, il fait remarquer que depuis 15 ans, bon nombre de permis de construire pour des résidences pavillonnaires ont été délivrés à Font d'Irac malgré le risque. Il a bien entendu aussi la réserve du commissaire-enquêteur dans son enquête publique sur le PLU, mais ne la perçoit pas comme un coup d'arrêt : "Ça nous rappelle que c'est une zone particulière, avec des choses à traiter dont il faut tenir compte."
Il ajoute : "Rien n'est fait sous les radars aujourd'hui. Tout est encadré strictement par les lois. On n'ira pas à l'encontre de l'État. La société Envol devra faire le porter-à-connaissance, c'est une obligation légale." Paul Mély organisera une réunion publique d'ici fin février pour discuter du projet avec la population.