Publié il y a 1 an - Mise à jour le 08.07.2023 - Stéphanie Marin - 4 min  - vu 6863 fois

FAIT DU JOUR Jacky Siméon, un rescapé respecté

Le 3 juillet 1989, Jacky Siméon a été gravement blessé par Vidocq de la manade Laurent.

- Archives J.Siméon

Il y a 34 ans, le 3 juillet 1989, lors de la 58e Cocarde d'or à Arles - la plus prestigieuse de toutes les courses camarguaises - Jacky Siméon était gravement blessé par Vidocq, un taureau réputé difficile de la manade Laurent.

En 2015, Daniel et Jacky Siméon ont été choisis par la municipalité pour diriger les arènes de Beaucaire. Le premier "est un artiste, un précurseur, il a remastérisé la course camarguaise et a su la mettre en valeur, explique Alicia Deleuze, guide-conférencière à l'office de tourisme Beaucaire Terre d'Argence et spécialiste de la course camarguaise. Ce sont deux tempéraments différents. Jacky est plus discret, plus en retrait."

Le cocardier lui a planté une corne dans la jambe gauche, l'a soulève tel un pantin, lui a arraché l'artère fémorale. • Archives J.Siméon

Sans que la tendance s'inverse, l'aîné a gagné un peu en confiance, pas assez encore pour prendre la parole lors de la présentation de la saison toutefois, l'homme est plus à l'aise à l'écrit, nous y reviendrons. "De moi-même, je ne vais pas vers les gens, mais je ne les fuis pas pour autant. Quand on vient me parler, je réponds volontiers", assure-t-il. Preuve en est, Jacky Siméon nous a ouvert les portes de sa demeure, située à Beaulieu dans l'Hérault. Assis à son bureau, ses yeux bleus fixent notre calepin dans un silence qu'il nous faudra briser. 

Le 3 juillet 1989, Jacky Siméon a été gravement blessé par Vidocq de la manade Laurent. • Archives J.Siméon

Il y a 34 ans, le 3 juillet 1989, lors de la 58e Cocarde d'or - la plus prestigieuse de toutes les courses camarguaises - Jacky Siméon était gravement blessé par Vidocq, un taureau réputé difficile de la manade Laurent. Nicolas Triol, président de la Fédération française de la course camarguaise, alors âgé de 24 ans, était en piste, dans les arènes d'Arles ce jour-là. "Ça a duré une dizaine de secondes et on a tout de suite craint le pire. Ça a été terrible. S'il s'en est sorti, c'est un véritable miracle."

Gravement touché, Jacky Siméon avait été transport au bloc opération des arènes d'Arles. • Archives J.Siméon

Ce jour-là, Jacky Siméon, raseteur expérimenté et respecté, n'avait pas commis d'erreur mais heurté un de ses partenaires, tous deux cherchant à sauter la barrière. Barrière que Jacky ne franchira pas, Vidocq l'en empêchera, le ramenant sur la piste. Le cocardier lui plante une corne dans la jambe gauche, le soulève tel un pantin, lui arrache l'artère fémorale. Le sang recouvre ses habits blancs. Ce n'était pas son premier coup de corne, il en a reçu 15 tout au long de sa carrière, mais celui-là aurait pu lui être fatal.

Ludovic Zerti en pleine action. • Archives L.Zerti

"Nous sommes tous restés figés", se souvient Ludovic Zerti, raseteur beaucairois, vainqueur de la Cocarde d'or en 1996. Un souvenir qui le ramène en contre-piste, les yeux rivés sur Jacky. "Il y a eu de grands cris, mais lui, a eu un sang-froid extraordinaire, il s'est relevé... C'est un exemple de combativité. Je le surnomme maestro." Un surnom qui fait sourire le Beaulieurois aujourd'hui âgé de 70 ans.

Alicia Deleuze, guide-conférencière à l'office de tourisme de la CCBTA et spécialiste de la course camarguaise. • Stéphanie Marin

Il ne le commentera pas, Alicia Deleuze nous avait prévenu : "C'est un homme modeste, il n'est pas à l'aise avec les compliments." Et pourtant, dans les années 70, lui et ses frères ainsi que la fratrie Rado, ont contribué au nouvel élan de la course camarguaise. La situation était similaire à celle que nous connaissons actuellement avec des arènes peu fréquentées. "Ils ont redonné envie aux gens d'y retourner. La notion de risque n'existait pas pour ces raseteurs", indique Alicia Deleuze.

Jacky Siméon, 70 ans, et co-directeur avec son frère Daniel des arènes de Beaucaire. • Stéphanie Marin

"J'avais des rasets courts, je rentrais dans le terrain du taureau. L'inconscience de la jeunesse peut-être, mais je savais ce que je faisais, je ne sais pas comment vous dire, ce genre de choses, vous l'avez ou vous ne l'avez pas", lâche celui qui s'est retrouvé face à l'illustre Goya en piste, entre autres Bioùs d'Or. Le 3 juillet 1989, il arrache un gland sur un raset coupé, puis l'accident. "J'ai quelques flashs de l'accident, je vois du monde s'affoler autour de moi, sans trop comprendre pourquoi." Jacky est transporté au bloc opératoire des arènes, "ce qui m'a sauvé la vie. Ailleurs qu'à Arles, j'y serais resté, j'ai tout de même fait deux arrêts cardiaques."

Nicolas Triol se rappelle les longues minutes d'attente dans le tunnel, juste à côté de l'infirmerie et du bloc opératoire, où tous les raseteurs s'étaient regroupés. "Il y avait une ambiance particulière, de drame, de mort. Nous attendions des nouvelles et étions particulièrement inquiets. Quand on met les pieds en piste, on connaît le danger, mais la passion est plus forte." Après une telle blessure, Jacky n'avait plus grand espoir de raseter de nouveau. 

Youssef Zekraoui, lors de la finale du Muguet d'or dans les arènes de Beaucaire le 22 mai 2022. • Stéphanie Marin

L'Arlésien Youssef Zekraoui, âgé de 29 ans, a lui aussi connu cette situation. "Sa blessure était bien plus grave", concède son aîné. C'était le 29 août 2013, dans les arènes de Jonquières-Saint-Vincent, lors de la finale du raisin d’or. Le jeune raseteur alors prometteur, reçoit un coup de corne à la cuisse par le troisième taureau Béchet de la manade Saumade, alors qu'il tente de sauter la barrière. Il s'effondre en contre-piste, la cuisse ouverte en deux.

Youssef Zekraoui est retourné en piste pour la saison 2014, malgré les séquelles de cet accident, qui le font encore souffrir aujourd'hui. "C'était le tout début de ma carrière, j'avais 19 ans quand c'est arrivé. Certains m'ont tourné le dos à ce moment-là. J'ai pensé à arrêter, mais la passion a été plus forte. Je ne sais pas comment vous expliquer, j'avais la rage, l'envie. Cet accident m'a fait mûrir, grandir", assure celui qui a été vainqueur du trophée de l'Avenir en 2014 puis plus tard, en 2018, de la Palme d'Or, entre autres titres inscrits à son palmarès.

Jacky Siméon travaille actuellement sur l'écriture d'un nouvel ouvrage dédié à un taureau emblématique de la région.  • Stéphanie Marin

Jacky aussi était retourné en piste mais pour faire ses adieux, "en octobre 1990 dans les arènes de Lunel, j'ai tout de même été celui qui a levé le plus d'attributs", s'amuse-t-il. Si aujourd'hui, le co-directeur des arènes de Beaucaire peut regarder sans sourciller les images de son accident, il a été et cela se comprend, quelque temps perturbé.

C'est alors que le raseteur à la retraite trouve refuge dans l'écriture. "Pour aller mieux, il fallait que ça sorte. Ça m'a pris beaucoup de temps, je n'avais jamais écrit. Mais j'y ai pris beaucoup de plaisir, ça m'a fait du bien." Après Une cocarde d'or et de sang aux Actes Sud - livre dans lequel il raconte presque minute par minute, ce fameux accident du 3 juillet 1989 - Jacky Siméon a publié six autres ouvrages dont le Dictionnaire de la course camarguaise au Diable Vauvert. De nouveaux écrits sont en cours, mettant à l'honneur un taureau emblématique de la région, dont il ne souhaite pas révéler le nom pour le moment. 

Stéphanie Marin

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