RETENUE D'EAU "Rochegude n'est pas Sainte-Soline", pour le maire Patrick Dumas
L'association syndicale autorisée (ASA) de Saint-Jean-de-Maruéjols a choisi la construction de deux bassines, à Rochegude et Barjac, au lieu d'une seule à Rochegude. Le maire de Barjac, Édouard Chaulet, faisait savoir, la semaine dernière à Objectif Gard, son opposition au projet. Le maire de Rochegude, Patrick Dumas, est plus nuancé, respectueux des procédures, tout en reconnaissant une contradiction entre la construction d'une bassine, qui aidera principalement la production de semences pour d'autres horizons, alors que des programmes alimentaires territoriaux sont mis en place localement. Entretien.
Objectif Gard : À quand remonte le projet de retenue d'eau à vocation agricole sur votre commune ?
Patrick Dumas : Le projet date d'une trentaine d'années mais il a eu plusieurs vies. Il ressort assez régulièrement, mais depuis que je suis élu, en 2020, il a connu un nouvelle phase. Principalement liée au foncier parce qu'historiquement, la proposition faite par l'ASA se trouvait plutôt au nord de la commune. L'ASA a finalement acquis des terrains non loin de la départementale 16, à coté de leur station de pompage. Les agriculteurs ont un droit d'eau historique d'1,2 millions de m3. Sauf que depuis quelques années, quand on a l'assec aux ponts de Rochegude ou de Tharaux, on ne pompe plus. Et ces assecs sont de plus en plus courants, de plus en plus souvent. Quand il n'y a plus de ressource, on ne peut plus la partager.
Pourquoi cette nouvelle phase, cette nouvelle décision récente de l'ASA qui modifie le projet initial ?
La communauté de communes a délégué, au Pays Cévennes, une étude de faisabilité. Celle-ci a été rendue en décembre et propose deux retenues de substitution, l'une à Rochegude, l'autre vers Barjac.
Le maire de Barjac se plaint de ne pas y avoir été invité (relire ici). Étiez-vous convié lors du dernier comité de pilotage de l'ASA qui a pris connaissance des résultats de l'étude ?
Non, je n'y ai pas assisté et j'ai fait un peu la tête. On est un peu surpris que les maires des communes sur lesquelles vont, potentiellement, se faire les projets ne soient pas conviés. Mais il semblerait qu'il y ait des "boulettes" lors de l'envoi des mails... J'ai quand même eu accès au dossier.
"J'ai toujours dit que je ne donnerais jamais un avis positif si on pompait dans la nappe"
Quel est, alors, votre point de vue ?
Moi, je pense que le barrage de Sénéchas est potentiellement la meilleure retenue. Parce que lorsque la rivière est à sec, on ne peut plus rien faire. Et il n'y a pas que pour les agriculteurs que ce n'est pas bien, mai aussi pour le tourisme, et pour l'eau potable en général. Clairement, il faut qu'on arrive à avoir de l'eau en été, dans une période où les étiages de la Cèze sont très importants. Après, pour nous, dans le projet adopté, la bassine de Rochegude diminue, de 700 000 à 400 000 m3. Nous, chaque fois qu'on a eu des informations, elles ont été communiquées à la population. On ne peut pas être plus transparent que ça. Dans le dernier bulletin, notamment, on en parle. J'ai écrit : "Le maire a souhaité repositionner le projet dans son contexte local : Rochegude n'est pas Sainte-Soline". Parce qu'une chose est super importante : j'ai toujours dit que je ne donnerais jamais un avis positif si on pompait dans la nappe. Ce projet-ci, de retenue de substitution, c'est un prélèvement dans la Cèze en hiver, au moment où il y a de l'eau. Mais je pense que c'est un mauvais débat. Le débat sur le partage de l'eau est lié aussi aux campings. En été, on a des campings qui pompent trois ou quatre fois plus d'eau que Rochegude. Eux pompent dans la nappe. Et ça, on n'en parle pas trop. Il faut être équitable. Si on parle de la retenue d'eau pour les agriculteurs, il faut aussi parler potentiellement des problèmes des gros campings du territoire. Enfin, si les agriculteurs veulent vivre, il leur faut quand même un peu d'eau...
Pour vous, la retenue doit donc intervenir en éventuel recours, après adaptation du barrage de Sénéchas et réduction des usages touristiques de l'eau ?
Si les réseaux utilisés par l'ASA sont corrects, s'ils respectent les volumes réglementaires, je ne vois pas... en tant que maire... Mais je demanderai à ma population, il y aura une enquête publique. Ce ne sera pas ma décision : un permis sera instruit selon les règles et il y aura forcément des protestations, des recours... Un peu comme les éoliennes, ça ne se fera pas demain... Mais aujourd'hui, ce n'est qu'un avant-projet. En mairie, nous n'avons pas de dossier déposé. Simplement une étude qui provient du Pays Cévennes. Je sais aussi qu'en mars-avril, il devrait y avoir un rendu sur le financement.
"J'ai été très surpris par les coûts que j'ai vu apparaître"
Vous demanderez à y être invité cette fois-ci ?
Oui, je m'assurerai d'être invité cette fois-ci. Mais je dois dire que j'ai été très surpris par les coûts que j'ai vu apparaître. Les 22 ou 24 millions que j'ai vus, ça me paraît excessif. On avait entendu 7 millions d'euros au départ. Mais là... Je ne sais pas d'où ils ont sorti ça. C'est surtout du terrassement, et le remblai sera réutilisé pour un projet de plate-forme photovoltaïque.
Les opposants à la retenue dénoncent une forme d'accaparement de l'eau, pour une production qui ne participe pas à l'autonomie alimentaire du territoire, mais est dédiée à ailleurs, à des semenciers, majoritairement. Une perte de ressource à leurs yeux. Partagez-vous ce sentiment ?
On est en libre-échange, les agriculteurs mènent leur barque comme ils veulent. En tant que maire, ils ne viennent pas me dire s'ils plantent des carottes, du maïs... Ils sont autonomes. À part les pesticides, pour lesquels il y a des réglementations, ils n'ont rien à venir déclarer en mairie...
Mais cette ressource dédiée à l'extérieur, en tant que maire, est-ce que cela ne vous paraît pas contradictoire avec l'encouragement à mener des projets alimentaires territoriaux (PAT), afin d'assurer l'autonomie alimentaire d'un territoire ?
Ça, ça me paraît effectivement être un bon argument. Il y a quand même une certaine ambiguïté. Et, en même temps, il y a très peu de maraîchage dans le coin par rapport aux autres surfaces cultivées. Mais pour faire du maraîchage, il faut de l'eau... C'est essentiel pour cette activité.
Comme observateur, pensez-vous qu'avec les pluies très déficitaires des années 2022 et 2023, la retenue aurait pu être remplie ?
Je pense que oui. Sur la couverture du bulletin municipal, on a une photo de la Cèze d'avril dernier (il le montre), bien remplie.
"Il faut de l'eau pour les agriculteurs, ils ont le droit de vivre"
À terme, comme le déficit pluviométrique pourrait s'aggraver, le risque n'est-il pas de créer une retenue qui, dans dix ans, ne pourra plus être utilisée ?
Ça pourrait être le cas. Sachant quand même que le barrage de Sénéchas sera là également. Il est écrêteur de crue et soutien d'étiage. Donc, en été, il relâche de l'eau (*). Mais tout évolue. Sachant les contestations et qu'il va y avoir des recours, le projet va prendre un peu de temps. Et peut-être qu'on aura vu, d'ici là, de vrais changements et qu'on se dira que ce n'est pas la bonne solution. Mais je laisse les techniciens en parler, je ne peux pas juger de ça. Des gens beaucoup plus compétents que moi pourront dire si cette retenue est nécéssaire, utilisable, etc.
En retenue, l'évaporation de l'eau est également importante sous nos latitudes, surtout avec le vent, avancent les opposants...
Oui... Mais c'est la même chose pour la Cèze. De la source à Bagnols, elle s'évapore. Moins, mais elle va s'évaporer. Il faut qu'on arrive à apaiser le débat et il est malheureux qu'on n'y arrive pas. Il faut de l'eau pour les agriculteurs, ils ont le droit de vivre, et il faut vraiment qu'on arrive à ce partage de l'eau. Mais c'est compliqué. Après, chacun ne va pas faire un jardin pour être auto-suffisant, comme j'ai pu entendre dans certains discours.
Ne pensez-vous pas qu'une partie des craintes naît aussi de l'opacité qui règne autour du projet, avec une ASA, notamment, qui refuse de communiquer ?
C'est anecdotique. C'est énervant mais je ne pense pas que ce soit opaque. En tout cas, ça ne vient pas de la commune. Mais c'est difficile de communiquer.
"Je suis le premier à dire que l'eau, ça se partage"
Quand les informations proviennent des opposants, c'est en général qu'il y a un problème de communication à la base...
Je vous le concède. Mais c'est compliqué. Ce que je peux dire, c'est que, sur la commune de Rochegude, on a toujours été transparents. J'ai écrit un document en mai 2023 à l'ensemble de mes administrés, j'en parle dans les bulletins municipaux. Parce que je suis d'accord, sur ce type de projet, qui peut être conflictuel, il faut être totalement transparent. Forcément, comme on dit, "quand c'est flou, il y a un loup". Moi le premier, je me dis un financement à 22 millions d'euros, c'est quand même exagéré. Je ne me suis pas encore renseigné, mais ça me paraît énorme. Et puis, Sainte-Soline a fait beaucoup de mal. ici, j'aurais préféré avoir une retenue plutôt que deux. Il y a aussi des retenues dans la Drôme, dont on entend pas parler. Mais il faut aussi de l'eau pour nos copains à l'aval... Je suis le premier à dire que l'eau, ça se partage.
Craignez-vous, un jour, de devoir dire aux campings "cette année, je demande à limiter votre consommation à tant..." ?
Ce que je crains, surtout, ce n'est pas de dire quelque chose aux campings, mais de devoir dire à ma population, en septembre "il y a moins d'eau au robinet". Parce qu'on a fait la cigale tout l'été. Dans un camping, aujourd'hui, il n'existe aucune restriction sur le nombre de douches que vous pouvez prendre. C'est un forfait. Quand on est chez soi, et qu'on tourne le robinet, on va payer l'eau... On est d'autant plus concernés, ici, que la plus grande ressource de pompage d'eau de la plaine est à Rochegude. Mais il ne faut pas oublier que les agriculteurs ont fait des efforts. Et, ils le savent : si je vois en été, à 2h de l'après-midi, des asperseurs arroser des maïs ou de la route, je leur dis que je couperai l'eau. Mais ça fait quelques temps que ce n'est pas arrivé.
"On est dans une république, il faudra accepter le choix"
Si le projet avance, vous ne craignez pas de voir s'installer une ZAD (zone à défendre) dans la région ?
Franchement, je ne le souhaite pas. C'est pour ça que je suis ouvert, j'ai reçu le collectif d'opposants par deux fois en mairie. Ils peuvent venir quand ils veulent, on discute entre gens intelligents. On peut ne pas être d'accord, mais au moins, on dialogue. Je reçois les agriculteurs, le collectif, mes administrés. Et j'essaie d'avoir toujours le même discours sur le partage de l'eau et la recherche de solutions. Mais il ne faut pas chercher la confrontation, sinon on n'arrivera à rien.
Vous pensez qu'à l'heure de signer l'autorisation de travaux, le climat sera apaisé ?
À l'heure d'aujourd'hui, je dirais non. Ce sera conflictuel. Parce que des gens vont être jusqu'au-boutistes - j'en ai déja croisés - et ce sera difficile de discuter. En même temps, c'est la décision des élus, des politiques. Et je ne parle pas du maire, mais des élus, des sénateurs, du préfet, de la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer), de dire si le projet peut se faire, ou pas. À ce moment-là, on est dans une république, il faudra accepter le choix.
(*) À propos du barrage de Sénéchas, relire ici l'article qu'Objectif Gard lui avait, notamment, consacré en octobre 2023