SAUMANE Condamnée aux Prud'hommes, l'association Sésame Autisme n'a toujours pas régularisé le paiement de ses salariés
Pour six salariés de l'association, qui en compte environ 400, le conseil des Prud'hommes d'Alès a condamné Sésame Autisme Occitanie Est à régulariser la situation. Mais - et alors que la régularisation est toujours en cours pour les six plaignants en question - l'employeur ne souhaiterait pas régulariser les autres salariés.
La section FO de l'association les invite à déposer plainte à leur tour, tout en posant une question essentielle, alors que Sésame Autisme vit de fonds publics : où est passé l'argent des congés payés mal calculés, ou du différentiel entre ce qui était déclaré comme versé aux caisses de retraite et ce qui l'était réellement ? Il aura fallu à peine plus d'un an au conseil des Prud'hommes d'Alès pour statuer sur les dossiers de six salariés de Sésame autisme. Puis, quelques mois supplémentaires pour que les deux responsables de la section Force ouvrière (qui ont porté quatre dossiers, en plus du leur, devant le conseil des Prud'hommes) s'aperçoivent que le jugement n'aura pas changé grand-chose au fonctionnement administratif de la structure.
Tandis que leur avocate étudie la possibilité de prolonger l'affaire au pénal, les deux syndicalistes enjoignent leurs collègues à faire reconnaître leurs droits ; et les institutions publiques - Agence régionale de santé et conseil départemental - à se soucier de l'argent du contribuable qu'ils doivent administrer.
"Pendant 23 ans, nous avons eu 3,84% prélevés illégalement sur les salaires", entame Frédéric Marchetti, de Force ouvrière. Vingt-trois ans, ce qui fait remonter l'affaire aux accords issus de la loi sur la réduction du temps de travail : si le travail était réduit de 15%, à 33,15 heures par semaine, une retenue de 3,84% sur salaire brut devait être effectuée. Or, le travail n'a diminué que de 10% à l'époque, pour arriver à 35 heures. Il est même de 35,67 heures par semaine, calculent les Prud'hommes. La retenue n'était donc pas fondée, l'association a dû rembourser le différentiel aux six employés. Alors que les accords sur les 35 heures n'ont jamais été déposées, par l'employeur, auprès de l'inspection du travail.
Une incidence importante sur les retraites, sans possibilité de récupérer
Plus largement, le tribunal retient aussi un différentiel entre le net à payer et les sommes finalement versées. Et une incidence inévitable sur les retraites auxquelles les salariés pourront prétendre un jour. "Nos salaires sont trop bas, on ne cotise pas ce qu'il faut." La faute à "des accords d'entreprise signés par différentes organisations syndicales en dessous du code du travail et de la convention collective". CFDT et CGT sont visées. En clair, certaines cotisations retraites ne finissent pas dans les organismes complémentaires. Ou bien, les bases prises en compte ne sont pas les bonnes, réduisant, de fait, la cotisation que l'employeur aurait dû verser pour la retraite du salarié. Ni les membres de FO, ni le tribunal des Prud'hommes ne font d'hypothèse sur la finalité des sommes ainsi économisées.
L'association est aussi condamnée par rapport aux amplitudes horaires demandées, parfois, aux salariés. Elle l'est aussi sur le non-respect des heures de nuit (qui doit entraîner à une prime de 7%), donc de la pénibilité. Si la condamnation a donné lieu à régularisation, l'erreur perdure. Secrétaire de la section FO, Sébastien Migliore le prouve en montrant sa fiche de paie de janvier : alors qu'il travaille exclusivement de nuit, son employeur n'a retenu qu'une prime de 25,50 €. "Moi, j'ai travaillé pendant douze ans de nuit, témoigne Frédéric Marchetti. La prime de 7%, on n'en a pas vu la couleur." L'association est aussi condamnée sur des trimestres non validés, soit des cotisations qui n'ont pas été versées aux caisses de retraite.
"Ce sont environ 2000 salariés qui sont floués !"
Frédéric Marchetti, syndicaliste Force ouvrière
"L'association a été condamnée pour six dossiers, poursuit Frédéric Marchetti. Mais ce sont environ 2 000 salariés qui sont floués !" Aux près de 400 salariés actuels, FO ajoute les personnes qui sont passés par la structure dans les 23 dernières années, que le contrat soit court ou long - "il y a même une année, à la Pradelle à Saumane, où il y a eu 500 remplacements dans l'année". Et, pour la majorité de ces employés, l'argent a définitivement disparu puisque sur ces faits, le tribunal ne peut remonter que sur trois années. Ensuite, la prescription joue. Le jugement des Prud'hommes, pour les six dossiers, remonte à la période 2018-2020. Mais les années suivantes sont aussi concernées et FO n'a pas l'intention de lâcher, alors même que ce premier jugement fait jurisprudence.
"Les décisions du tribunal sont définitives", insiste l'avocate qui a plaidé l'affaire, Ève Soulier. En clair, Sésame autisme n'a pas interjeté appel de ce jugement. "Mais, malgré cela, les employeurs rechignent à appliquer le jugement. Les sommes ont été payées en partie, les cotisations pour les caisses de retraite n'ont pas encore été réglées. Concernant les 3,84% prélevées au niveau du salarié, on ne sait pas où cet argent est passé. Et des milliers de salariés se retrouvent avec une retraite impactée de façon drastique."
Ce qui interroge plus encore syndicat et avocate, c'est le silence véritablement assourdissant des deux administrations qui apportent le budget nécessaire à Sésame autisme, Agence régionale de santé et Département du Gard (ceux de l'Hérault et des Pyrénées-Orientales sont aussi concernés). Si la première a mené une mission d'inspection sans concession après la mise sous administration provisoire de la structure (alors que le commissaire aux comptes refusait de valider ceux-ci), elle n'a pas réagi au jugement des Prud'hommes alésiens et ne s'est pas encore inquiété de la disparition d'argent mise en évidence. Côté conseil départemental, on se garde de réagir depuis le début (*).
"Aujourd'hui, qui va payer ? interroge Frédéric Marchetti. Et qui va prendre la responsabilité de dire "on s'est trompés" ?" Ève Soulier, de son côté, n'exclut pas une action au pénal alors que "les salariés ont l'espoir que ça se régularise de fait. En attendant, on les appelle à constituer leur dossier." Si une bonne partie le faisait, les sommes en jeu seraient sans doute considérables à régulariser pour l'association, les plaignants en ont conscience. "Mais c'est des centaines d'euros, par mois, qu'il manque". Et quand arrivera une retraite plombée, il sera déjà trop tard. "Pour moi, sur la pénibilité et le manque de cotisations, pour les trois dernières années, il manque 26 000 €", avance Sébastien Migliore. Ce qui donne une idée (impressionnante) de l'entièreté des sommes à payer.
L'union départementale FO et Maître Ève Soulier ont décidé d'interpeller la Première ministre, Élisabeth Borne, sur le sujet. Ils souhaitent aussi saisir le procureur de la République "pour que les droits des salariés soient enfin respectés". En attendant une nouvelle action, aux Prud'hommes, pour ce qui perdure...
(*) Contacté, à la suite du rapport d'inspection de l'ARS, le conseil départemental du Gard préférait laisser travailler l'administration provisoire avant de réagir. Une administration provisoire achevée en décembre 2021. Pour autant, le Département ne s'est pas positionné depuis.
Contactée lundi après-midi, la direction de Sésame autisme n'avait pas encore donné suite à notre demande de réaction au moment de la parution de l'article.