ENTREPRISE Le télétravail : réel gain de productivité ? L'avocat Hervé-Georges Bascou nous éclaire
Hervé-Georges Bascou, avocat conseil d’entreprises à Nîmes, spécialiste en droit du travail et contrôle et contentieux URSSAF, docteur en droit, a rédigé en 2020 trois modules de formation e-learning sur le « télétravail » (avec guide et charte commentée) et un sur le « contrôle et contentieux URSSAF » (avec ouvrage pratique de 60 pages). Il nous en dit plus.
Objectif Gard : En votre qualité d’expert du télétravail, que pensez-vous de l’étude Sapiens qui évalue à 22 % les gains de productivité réalisés en télétravail ?
Maître Bascou : Je suis toujours très prudent concernant les études effectuées sur le télétravail notamment sur la question de la productivité. Les études ne manquent pas mais elles ne reposent pas, à mon avis, sur des données suffisamment fiables et sur des critères suffisants pris en compte. En somme, ce résultat ne peut, pour moi, être retenu. Il est, en effet, acquis que l’impact du télétravail sur la productivité dépend de très nombreux facteurs. Comme je l’ai écrit en avril 2020, tout dépend notamment des conditions de sa mise en place, des outils mis à la disposition des salariés, de l’organisation du travail dans l’entreprise, de son management, de la formation des télétravailleurs et des télémanagers, et des secteurs d’activités. Au sein même d’un service, il est important de savoir si le télétravail repose sur le pilotage d’un projet qui nécessite, de facto, beaucoup d’interactivité où sur une activité bien déterminée, maîtrisée parfaitement par les collaborateurs.
Au centre du télétravail, le télétravailleur...
Au-delà de ces critères, il ne peut être écarté la personnalité même du télétravailleur. Certaines personnalités sont adaptées et s’adapteront à cette forme d’organisation, d’autres non, et ne l’auront jamais, pour des raisons qui leur sont propres. Ainsi, la dimension humaine est aussi un critère déterminant, peu souvent mis en avant dans les études. Enfin, le contexte spatio-temporel dans lequel est pratiqué le télétravail est déterminant. L’imposition du télétravail pendant cette période de coronavirus résulte, en fait, d’une obligation de l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires "pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des travailleurs" (article L. 4121-1 du code du travail). Le télétravail est, durant ce temps inédit, un télétravail imposé, « de guerre » et en aucun cas un télétravail voulu, accepté, appréhendé, paisible. Sa mise en place s’est effectuée, pour bon nombre d’entreprises, sans véritable préparation. Ce fut d’ailleurs un échec cuisant pour bon nombre d’entreprises, notamment lors du premier confinement.
Nous sommes donc loin des conditions initiales du télétravail qui supposait un double volontariat : celui de l’employeur et de l’employé de sorte qu’aucun des deux ne pouvait l’imposer à l’autre...
C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, les avis des chefs d’entreprise divergent à l’extrême. Certains considèrent le télétravail comme une voie d’avenir. D’autres, l’assimilent au télé-vacances. Ces points de vue révèlent avant tout que la mise en place du télétravail ne peut s’effectuer sans une grande préparation en amont, avec un grand P.
Pourquoi autant d’hésitation des chefs d’entreprise à télétravailler aujourd’hui ?
Il existe de nombreuses raisons. Permettez-moi d’en exposer au moins trois. De nombreuses entreprises (et leurs salariés qui ont télétravaillé de façon sédentaire, sans aucune préparation), ne sont pas sortie indemnes du premier confinement. Chaque dirigeant a donc tiré des conclusions souvent radicales de cette organisation. Ce ne sont pas les préconisations du Gouvernement, ni les éventuels contrôles de la DIRECCTE qui les feront revenir sur leur position. Ensuite, il y a la réalité du quotidien. Les chefs d’entreprise ont d’autres priorités que de se pencher et de réfléchir sur cette thématique en ces temps anxiogènes, de chaos pour certains. À ce titre, il faudrait que nos dirigeants comprennent enfin la vie d’un chef d’entreprise, sa souffrance, sa peur du lendemain. Rien n’est acquis pour lui. Il n’a pas le droit à l’erreur. Il n’a pas le pouvoir de s’arrêter et de se reposer. Son quotidien, c’est trouver l’énergie pour sauver son entreprise et l’emploi de ses salariés. En plus, il faut le dire, l’inflation des règles juridiques à respecter, liées notamment au contexte économique, ne lui facilite pas la tâche pour se poser. Enfin, et il faut le dire, mettre en place le télétravail entraîne pour les chefs d’entreprise des dépenses substantielles. En ces moments difficiles, j’avais, bien modestement, demandé qu’elles soient prises en compte par nos dirigeants. Aucun écho à ce jour.
Quelles sont alors les conditions d’un télétravail performant ?
L’entreprise et les salariés doivent d’abord être à l’initiative de cette organisation et, tout au moins, ne pas penser la subir. Sans volonté et sans une grande préparation, la réussite du télétravail au sein d’une activité est improbable. Concernant la préparation, elle se situe pour l’entreprise à plusieurs niveaux : technique, organisationnel et juridique. J’ai d’ailleurs développé longuement ces trois aspects dans les formations en ligne « télétravailleurs » et « télémanagers » en collaboration avec la société Callimédia. Je préconise depuis toujours le télétravail alternée (1, 2 jours par semaine) et toujours soutenu que le télétravail sédentaire (télétravail tous les jours de la semaine) était dangereux tant pour l’entreprise que pour le salarié. Il faudrait, en fait, apprendre à l’avenir à mieux télétravailler et que chaque protagoniste soit véritablement gagnant.
Pensez-vous que le télétravail soit l’avenir ?
Je pense que la France est très en retard dans ce domaine par rapport à d’autres pays. Je suis persuadé que les populations éligibles au télétravail seront de plus en plus nombreuses à l’avenir et que celles et ceux qui ont commencé à télétravailler poursuivront le télétravail. Le télétravail, que l’on soit pour ou contre, est l’avenir. Tout chef d’entreprise ne peut aller à l’encontre des révolutions technologiques qui s’imposent à lui. Il doit tirer avantage de cette forme d’organisation sans oublier que le plus important est la relation humaine.
Propos recueillis par Abdel Samari