NÎMES Pina Bausch, dans la terre et la sueur
La chorégraphe allemande décédée en 2009 a gravé dans le marbre de la danse contemporaine sa propre définition de l'anatomie des corps en mouvement. Aux Arènes, sous la direction de Xavier François Roth, deux de ses œuvres majeurs sont interprétées avec somptuosité.
Deux œuvres qui n'ont pas grand chose en commun. La première, Café Müller, est une création originale de Pina Bausch de 1978, probablement la plus personnelle et autobiographique. Dans un dédale de chaises et de tables chahutées dans tous les sens, Café Müller s'inspire de la brasserie de ses parents dans l'Allemagne nazie des années 40. De sa vision de petite fille cachée sous les tables, elle a retenu ces mouvements torturés de corps qui se déchirent les uns des autres, qui tentent de se comprendre et se font du mal. La pièce, minimaliste à l'excès, peine à décoller pour l’œil novice. Dans un quasi silence où la musique d'Henry Purcell est relayée au second plan, on y voit une femme luttant pour trouver son chemin. Enlacée dans les bras d'un amant, elle tombe à l'infini. Le geste est reproduit à répétition - c'est aussi la marque reconnaissable de Pina Bausch - et la pièce s'achève sous les applaudissements des 2 000 spectateurs présents.
Après trente minutes d'entracte, place au grandiose Sacre du Printemps inspiré du ballet de Stravinsky et Nijinski de 1913, dont la relecture de Pina Bausch est la plus connue. D'une terre battue lissée, elle fait un véritable champ de bataille où les corps se meurent et renaissent. Démonstration étincelante d'un rapport primitif à l'anatomie, les corps en sueur se frottent à la terre et se transforment aléatoirement. Les souffles suffocants de la vingtaine de danseurs résonnent à l'unisson. C'est là aussi une part du travail de Pina Bausch qui donne une place importante au hasard. Dans un chaos de mouvements, de courses, quelques-uns se percutent et s'enlacent, avant de se relâcher. De l'inattendu et de l'irrationnel, Pina Bausch avait réussi a extraire une synchronisation des corps dans une alchimie parfaite qui fait toujours sens, 40 ans plus tard.
Le langage corporel dessiné par Pina Bausch se frotte à l'opposition des sexes, aux éléments de communication entre hommes et femmes, à la solitude. Si quarante ans plus tard, son œuvre n'apporte pas de réponse à cette incompréhension universelle, c'est parce que la chorégraphe avait compris que ce combat était vain.
Dernières représentations mercredi 8 et jeudi 9 juin, à 22h.
Baptiste Manzinali