FAIT DU JOUR Avec quatre attaques depuis le début de l'été, le loup est bien installé sur le massif de l'Aigoual
Encore sous le choc d'un bélier éventré la semaine dernière, l'estive du groupement pastoral de la Baraque neuve, à Saint-Sauveur-Camprieu, a reçu ce jeudi une réunion de la fédération des groupements pastoraux du Gard et de la Lozère. Face aux agents de la DDTM et du Parc national des Cévennes, la présence indésirable du loup a été au coeur des débats. Avec un enjeu économique essentiel pour les éleveurs ovins, qui posent aussi la question du type de biodiversité souhaité, dans un territoire reconnu par l'Unesco, justement, pour son agropastoralisme.
"Pour une fois qu'un Plan national a fonctionné...", lâche ironiquement un éleveur alors que le débat s'anime autour de la présence du loup dans les Cévennes. Le plan en question, celui sur le loup, qui court de 2018 à 2023, doit être renouvelé, pour cinq ans, en 2024. Servis par une bien triste acutalité, les éleveurs cévenols ovins espèrent bien que leurs revendications influeront sur le plan. Ils plaident aussi pour avoir le droit d'effectuer des tirs de défense renforcée dans la zone coeur du Parc national (*), position qu'ils ont énoncé en présence de la directrice du Parc, Anne Legile.
Pour Éric Martin, qui accueille 650 bêtes avec sa femme, sur l'estive de Camprieu, le choc est encore bien présent. "Seul le bélier a été attaqué", raconte-t-il. Un bélier de race raïole, de 90 kg. "Il y avait au moins deux loups", avance Bernard Grellier, berger honoraire reconnu pour son expertise, qui est venu constater les dégâts sur la carcasse et a reconnu les stigmates : "Ils ont éloigné la panse, qui ne les intéresse pas à cause des herbes qu'elle contient. Environ vingt kilos de viande ont été emportés, alors qu'un seul loup n'en prélève qu'environ cinq kilos. Mais on sait que les mères peuvent régurgiter ensuite pour leurs petits. Ils ont tordu la peau pour ne pas la manger." Et, pour finir, les agents du Parc ont confirmé la provenance de l'agression.
"Depuis, c'est l'enfer, raconte Éric Martin, pour qui les nuits sont devenues agitées. Je me lève à 4h du matin et prends le C15 pour aller faire un tour et vérifier que tout va bien. D'autant que je ne suis pas seul : Mathieu (Soulier, éleveur dont les bêtes sont au sommet de l'Aigoual, NDLR) a subi trois attaques en juillet." "Il a eu deux brebis mortes et une blessée, renchérit Bernard Grellier, le 8 juillet. L'une d'entre elles, c'est un marcheur qui l'a retrouvée avec les gigots arrachées, tout comme le cou." Deux semaines plus tard, deux brebis revenaient avec des blessures sur les côtes, pour l'une, et sur les pattes, pour l'autre. Voilà pour l'Aigoual, quand le mont Lozère a déjà une meute avérée, voire deux, disait craindre, récemment, la présidente du Département de la Lozère. "Mais il y a une réticence de la part des services de l'État à reconnaître la situation, regrette Bernard Grellier. Les chasseurs ont une dérogation pour chasser dans la zone coeur, pourquoi pas les éleveurs ? Ce qu'on veut, c'est éduquer le loup. Que quand il s'approche des brebis, il sait qu'il risque sa vie. Les Alpes ont des brigades spécialisées de l'Office français de la biodiversité. C'est tout ce travail qui reste à faire dans les Cévennes."
Alors entre les sujets du gyrobroyage et de l'écobuage mal compris des randonneurs, ou celui de la valorisation des produits, la présence du loup a monopolisé la plus grande partie des débats, ce jeudi, dans la bergerie de l'estive, pour la 11e rencontre des groupements pastoraux du Gard et de la Lozère. "On demande des tirs de défense et la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer, NDLR) de Lozère met deux jours pour les accepter, quand c'est une semaine dans le Gard, entame Éric Martin. C'est trop tard !" "Nous, sur le terrain, on ne va pas se laisser attaquer cinq ou six fois avant d'avoir un papier signé", s'emporte Marc Delpuech, président du syndicat ovin du Gard.
"Onze tirs de défense ont été autorisés, l'an dernier, sur le causse de Blandas et à Arrigas"
Patrick Fairon, de la DDTM du Gard
En face, Patrick Fairon, chef d'unité chasse et coordination des polices de l'environnement à la DDTM du Gard répond que "onze tirs de défense ont été autorisés, l'an dernier, sur le causse de Blandas et à Arrigas. Mais si les arrêtés d'autorisation ne sont pas béton, ils sont attaqués par les associations." Avant de tenter de relativiser : "Ça fait quoi ? Quatre semaines qu'il y a de l'inquiétude ? Comment ça va évoluer ? Il est possible qu'il y ait un ou plusieurs loups. Mais peut-être que dans quelques semaines, il n'y aura plus rien." "Non !", répondent en choeur les éleveurs, qui soulignent qu'une fois que le loup est installé, il ne part plus.
"Aujourd'hui, on a des meutes, renchérit le vice-président du Département de Lozère en charge de l'agriculture, Robert Aigoin. Il faut mettre en place un process sur les territoires où on sait que le loup est, qu'il puisse y avoir une fiche-action pour les estives, commune aux départements de Lozère, Gard et Aveyron." Éleveurs et bergers regrettent qu'aucune opération de hurlement provoqué n'ait été déclenchée sur l'Aigoual, pour éventuellement identifier une meute. "En somme, il y a au moins deux loups et vous nous dites qu'on ne peut rien faire", s'exaspère Christine Gros, présidente de la fédération des groupements pastoraux du Gard et de la Lozère. Quand Anne Legile enjoint les professionnels à se tourner vers les responsables des syndicats d'éleveurs nationaux pour faire changer la règle dans le coeur de Parc, eux qui "croisent plus souvent les ministres que moi".
"Le loup est protégé au nom de la biodiversité. Mais si on laisse faire le loup, les éleveurs vont arrêter, et la biodiversité va fortement décliner"
Frédéric Mazer, éleveur à Corbès
"Le loup est protégé au nom de la biodiversité, tente enfin Frédéric Mazer. Mais si on laisse faire le loup, les éleveurs vont arrêter, et la biodiversité va fortement décliner." Et ce, alors même que le classement Unesco des causses et Cévennes repose sur l'agropastoralisme. "Sans compter le risque incendie s'il n'y a plus de troupeau", soulève aussi Mathieu Soulier. Et face au loup, les chiens de protection ne sont pas non plus une solution optimale. "Si on a un souci avec des promeneurs, on n'est pas couverts, souligne Benjamin Peyre, éleveur à Arrigas. Et si on a six chiens dans la vallée, vous allez aussi voir la biodiversité dégager..." La directrice du Parc national rappelle en réponse que des informations sont constamment délivrées, par divers canaux, aux promeneurs sur la conduite à mener face aux troupeaux. Et qu'un loup tué par un chien de protection n'est pas décompté dans le quota de loups à prélever.
Le 31 juillet, les présidents de huit fédérations agricoles - dont celui des chambres d'agriculture de France, de la FNSEA, des producteurs de lait, du cheval ou des éleveurs de chèvre - ont envoyé un courrier à Emmanuel Macron pour plaider leur cause en vue de la production du nouveau plan national d'actions 2024-2029 sur le loup et les activités d'élevage. "Ce futur plan doit absolument sauvegarder l'élevage à l'herbe aujourd'hui menacé par les conséquences des attaques de loup sur les troupeaux", écrivent les huit signataires. Ils notent que, sur la période 2018-2023, "le loup est passé de 430 à 1 000 individus", causant "12 000 animaux tués par an avec une augmentation depuis 2002. Le nombre de départements colonisés par le loup est passé de 22 en 2018 à 53 en 2023." Les fédérations réclament "de fusionner les tirs de défense en un seul, mis en oeuvre par cinq tireurs et valables pour cinq ans". Ils souhaitent l'usage de lunettes à visée nocturne et la supression du plafond de destruction de 19%. Les grands moyens pour sauver des éleveurs "menacés d'extinction avec toutes les conséquences induites des territoires".
En désaccord avec le comptage réalisé par l'Office français de la biodiversité (OFB), les fédérations ont quitté la table des négociations du groupe national loup le 3 juillet. Et menacent de ne pas revenir si l'État ne montre pas "une plus grande considération des constats et demandes de nos mandants". Entre services de l'État, éleveurs et associations écologistes, l'automne s'annonce à couteaux tirés autour du plan national d'actions sur le loup... et les activités d'élevage.
(*) Le tir de défense simple n'implique qu'un seul tireur dans la défense du troupeau. Le tir de défense renforcée - totalement interdit en zone coeur du Parc national des Cévennes - peut impliquer jusqu'à dix tireurs. Viennent ensuite, dans la réponse graduelle, les tirs de prélèvment simple et renforcé. Dans tous les cas, il doit être autorisé par la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du département concerné. Ce qui n'est pas sans poser problème sur l'Aigoual, à cheval sur deux départements, voire trois avec la proximité immédiate de l'Aveyron.