FAIT DU JOUR Christine Gros, présidente des groupements pastoraux : "L'État veut que le loup se développe en France"
Encore énervée par l'absence de réponse des services de l'État suite à l'attaque de loups subies sur l'estive de Camprieu, il y a deux semaines, la présidente de la fédération des groupements pastoraux de la Lozère et du Gard(*), Christine Gros, elle même éleveuse à Soudorgues, se demande combien de temps - encore - les agriculteurs resteront sages face aux attaques de loup qui mettent à mal leurs exploitations. Elle réclame des tirs autorisés en plus grand nombre et des prélèvements plus importants.
Objectif Gard : Depuis quand le fédération tire-t-elle la sonnette d'alarme à propos de la présence du loup dans les Cévennes ?
Christine Gros : Depuis le début. Du moins, depuis qu'elle est avérée, la sonnette est tirée. Et même avant, les éleveurs savaient qu'il y avait du loup, le disaient. Mais on leur répondait : "Non, ce n'est pas du loup. Ah mais vous êtes attaqués ? Ce sont des chiens errants, etc." Jusqu'au jour où ça n'a plus pu être nié. Les premières attaques n'ont pas été retenues.
Depuis quand les services de l'État reconnaissent-ils qu'il s'agit bien du loup ?
Une quinzaine d'années, je pense. Mais, regardez, sur les bovins par exemple : l'an dernier, on a eu une réunion en fin d'été à la DDTM de Lozère (direction départementale des territoires et de la mer, NDLR). C'était pour nous dire qu'ils étaient embêtés parce qu'ils ne savaient pas reconnaître une attaque de loup sur un bovin... Qu'ils avaient des documents à remplir et que ce n'était peut-être pas adapté aux bovins. Dans le doute, ils n'avaient pas dit que c'était du loup, mais avaient quand même indemnisé. Je leur ai signalé qu'en Savoie, l'OFB (Office français de la biodiversité, NDLR) n'avait pas de souci pour reconnaître quand c'était du loup... On leur a donc demandé s'ils se moquaient de nous, parce qu'ils pouvaient aller faire un stage en Savoie. Au final, on pense tous que l'État veut que le loup se développe partout en France. Et l'Europe aussi.
Vous ne pensez donc pas que la biodiversité est plus riche si le loup fait parti du paysage...
Pas du tout, on pense l'inverse. Pourquoi ? Parce que le loup est une espèce mythique ? On pense que la petite fourmi qui vit sous un rocher est aussi importante que le loup. Pour les gens qui n'ont rien à voir avec notre métier, c'est sans doute plus parlant un loup qu'une fourmi. C'est de la manipulation, d'autant que le loup n'est pas en voie de disparition dans le monde. Je ne crois pas que les gens cohabitaient avec le loup autrefois. Ils devaient surtout avoir la pétoche et faire comme nous : penser au loup tout le temps, qui allait s'attaquer aux brebis et à ceux qui gardaient les troupeaux. Et puis, les gens n'avaient que 20 ou 30 bêtes. D'ailleurs, on nous apprend que dans nos bâtiments agricoles, il faut faire entrer beaucoup d'air, qu'il y ait de grandes ouvertures pour la santé des animaux. Or, tout ce qu'on voit des anciens a une raison qui était valable. Et toutes les bergeries qu'on voit dans la montagne ont des petites fenêtres. Quand on a entendu parler du loup, ça a fait "tilt" : ils avaient trouvé des méthodes pour être moins attaqués.
"On se bat pour les milieux ouverts depuis des années et on nous met des freins"
Le ministère de l'Agriculture ne vient pas appuyer votre discours auprès de celui de la Transition écologique ?
Non, ça n'a pas l'air. Et puis, pour nous, tout est lié : on se bat pour les milieux ouverts depuis des années et on nous met des freins. Le Parc national des Cévennes (PNC) a fêté ses 50 ans l'année dernière, avec ce chiffre : la forêt est passée de 30% à 70% dans le coeur du Parc. Donc, vous défendez officiellement l'agropastoralisme, le passage des troupeaux, les milieux ouverts. Et, en même temps, vous voulez nous mettre des règles sur le brûlage. En Lozère, ils sont en train de prendre des arrêtés qui interdisent de brûler. On sait que le Parc pousse pour ça, d'autres organismes de soutien de la nature aussi. Il ne faut plus faire d'écobuage sur les cailloux maintenant, parce qu'un papillon vient faire ses oeufs sur les rochers. On leur explique que s'il existe, c'est bien qu'il n'y a pas de problème avec l'écobuage, sinon il aurait disparu.
Quels moyens de lutte vous sont autorisés contre le loup ?
Depuis que l'indemnisation existe, en raison de la prédation, les lois sont de plus en plus dures pour éviter d'avoir à sortir de l'argent. Sur notre estive, on a été attaqué il y a sept ans. Il suffisait alors de subir une seule attaque pour que la commune passe en Cercle 1. Aujourd'hui, il faut deux attaques, deux années consécutives, pour être sûr que le loup n'est pas que de passage.
À qui correspond le Cercle 1 ? Une autorisation de tirer sur l'animal ?
Le Cercle 1 donne droit à des subventions à 80% pour le gardiennage, la clôture, les chiens de protection. Et avec eux, tout ce qui va avec, c'est-à-dire l'entretien, les tests de comportement et le suivi par des techniciens de l'Institut de l'élevage, qui expliquent comment faire avec les chiens. Le Cercle 0 existe aussi, pour des zones, comme celle de Roquefort. En fin de compte, ce n'est qu'une histoire de business, de fric : c'est le bassin qui rapporte le plus d'argent. Ils se sont dit qu'il fallait y mettre les moyens. Et comme des techniciens ont confirmé par des études que c'est indéfendable - comme partout ailleurs, selon nous - ils sont passés en Cercle 0. Du coup, il n'est pas demandé de mettre en place des moyens de protection, puisque c'est indéfendable. Et si des bêtes sont tuées, les éleveurs sont indemnisés. En Cercle 1, pour être indemnisé, il faut au moins avoir mis deux mesures de protection en place.
Comment êtes-vous indemnisées en cas de mort d'une brebis ?
Déjà, les bêtes qu'on ne retrouve pas, on ne peut pas prouver. Même si ça a bougé depuis récemment, parce que ça a gueulé dans beaucoup de départements. Mais c'est très peu indemnisé. Sinon, on touche environ 200 ou 300 €. Sur une estive, quand il y a une attaque, les morts sont indemnisés et on reçoit aussi une somme - mais ce sont des centimes - pour préjudice sur le troupeau. Or, une bête avortée, c'est bien plus que quelques centimes. Et, souvent, la moitié des brebis ne portent pus d'agneaux par la suite.
Les règles du Parc national sont-elles un obstacle à la défense du troupeau ?
En coeur du parc, l'indemnisation atteint les 100%. Et le Parc national des Cévennes est le seul dans lequel on peut tirer, parce qu'il existe un droit de chasse. Ç'a été voté par le conseil d'aministration du Parc, à l'unanimité à l'époque. Mais, il y a quelques années, on s'est aperçu qu'un des arrêtés pris par Rhône-Alpes venait d'ajouter le tir de défense "simple". Auparavant, il n'y avait pas de différence avec le tir de défense "renforcé". Il est donc bien signalé qu'en coeur de Parc, on est juste autorisés à un tir de défense simple. On ne s'est pas aperçu qu'on s'était fait avoir... Il ne faudrait pas que d'un coup, la directrice change d'idée et refasse un vote. Le PNC a fait un nouvel appel à candidatures pour le conseil d'administration, mais il fallait argumenter, donner les raisons de son intérêt pour la candidature. Désormais, les gens qui ont été élus, on ne sait pas trop s'ils sont pour l'agriculture, si ce sont de nouveaux installés avec des idées écologistes ou s'ils ont conscience d'un parc habité, en prise avec les réalités du milieu.
Y a-t-il une réelle différence de traitement entre le Gard et la Lozère, de la part de la DDTM ?
En Lozère, comme ça fait longtemps que le loup est présent - et que, je pense, les autorités ont compris qu'il fallait qu'ils lâchent un peu - ils sont plus coulants : on fait tout par internet pour les autorisations de tir, on ne leur envoie jamais un papier par la Poste. Dans le Gard, il faut forcément envoyer le papier qu'on a signé. Et le papier indique, systématiquement, que le directeur du PNC a donné l'autorisation de tir. Mais c'est aussi, comme je l'ai dit à Camprieu (relire ici), une histoire de personne. Celle qui est actuellement dans le Gard et reçoit nos demandes, c'est aussi celle qui gère les constats, les appels des éleveurs, les tableaux à remplir, sur le site de la préfecture, du nombre d'attaques et les indices. Actuellement, depuis que cette personne a été mise à ce poste, rien ne se passe comme il faudrait, et ça traîne des pieds : depuis le mois de mars, il n'y a pas de nouvelles infos sur le site dédié, pas une seule attaque recensée, rien... La personne précédente avait compris les agriculteurs et, certainement, pensait qu'il fallait être très réactif. L'État se cache toujours derrière un texte. Je pense qu'il faudrait qu'on soit tous à la même table et qu'on lise l'arrêté. Et que chacun dise ce qu'il a lu. Parce que je pense que les problèmes viennent aussi de l'interprétation des textes.
"La solution serait de pouvoir tirer, point final"
Quelle pourrait être une solution de fond, quand Bernard Grellier lui-même disait, à Camprieu, qu'une fois le loup installé on ne risquait pas de le voir s'en aller ?
La solution serait de pouvoir tirer, point final. On pense que dès qu'un loup a touché une brebis, c'est déjà foutu. Il faut donc se donner les moyens pour que ce loup-là ne montre pas aux autres comment manger les brebis. Ils ont à peine peur des coups de fusil. Il faut prélever, parce qu'on pense que, sinon, c'est invivable.
Y a-t-il eu des attaques à une altitude plus basse que le massif de l'Aigoual ?
Oui, sur la montagne en face, sur la commune de Saint-Martial, au mois de mars. Je me suis renseignée pour savoir si on avait droit au tir de défense, alors que c'était dans la commune à côté. On m'a répondu, à la DDTM de Lozère que j'avais au téléphone, qu'il n'y avait pas de souci. Mais ç'a été la croix et la bannière parce qu'il fallait que le troupeau lui-même ait été attaqué. Ce n'est donc qu'une interprétation des textes. C'est pourquoi il faudrait lire le même arrêté autour de la même table. Il y a aussi eu des attaques à Moulézan, Calvisson, ainsi que vers Aigues-Mortes.
"Si l'État veut du loup, il n'a qu'à en supporter les conséquences"
L'éleveur Benjamin Peyre, d'Arrigas, a aussi expliqué à Camprieu que les chiens de protection n'étaient la panacée ni pour la biodiversité, ni pour les conflits avec les promeneurs. Qu'en pensez-vous ?
Sur le mont Lozère, il y a même des éleveurs qui ne veulent pas mettre de chiens à cause du chemin de Stevenson et des milliers de personnes qui l'empruntent. Ils savent que s'ils mettent un chien - ou plutôt une meute de chiens puisqu'il y a une meute de loups - ce serait la pagaille. Je fais partie des comités loup Gard et Lozère, on a une réunion par an. Et ça fait X années qu'on leur dit qu'on n'a pas demandé à avoir des chiens, que c'est à l'État de gérer son truc. Si l'État veut du loup, il n'a qu'à en supporter les conséquences. On a demandé à changer le statut des chiens mais l'État ne prend pas d'engagement. On voit désormais, dans d'autres régions, des éleveurs qui mettent sur Facebook qu'ils laisseront le troupeau à tel endroit, tel jour. Et qu'il faut éviter de venir avec des chiens se promener, par exemple. Au final, c'est toujours aux éleveurs de faire le boulot. Sur le site de la fédération de randonnée pédestre, on ne trouve aucune consigne sur les chiens de protection. On explique aux gens de prendre à boire et de mettre des bonnes chaussures...
Êtes-vous confrontés à une nouvelle population, éloignée des contraintes de l'élevage, et qui ne comprend pas votre positionnement ou s'y oppose ?
Oui... Ils vivent ici et on les dérange, en gros. Et tout ce qu'on voit passer dans les medias n'est pas à notre avantage, comme le veganisme, les films dans les abattoirs, etc. D'ailleurs, ils ont du culot de venir dans des petits abattoirs comme Le Vigan, alors que ce sont ceux qui font de la vente directe, sont au plus près du bien-être des animaux et de la qualité. Ils sont venus là tout simplement parce que c'est le seul endroit où ils pouvaient mettre des caméras. Parce que, chez Bigard, je ne crois pas qu'on y entre... Après, ce qui a été filmé n'était pas acceptable. Mais nous, tout ce qu'on revendique, c'est d'arriver à tuer à la ferme, comme avant. Tueur dans un abattoir, ce n'est évidemment pas un métier qu'on peut faire toute sa vie, je pense. À un moment donné, le cerveau saute...
Vous pensez que la présence du loup peut remettre en cause tout le système économique de l'élevage et la tenue des paysages ?
Oui, au niveau européen, on demande encore plus de territoires à enjeux environnementaux. Les aires d'adhésion vont être la tranche qui entrera pour faire un peu plus d'hectare. En coeur du parc, on ne peut rien faire ; alors qu'en aire d'adhésion, on a tous les droits et les subventions qui vont avec. Dans une vidéo, la directrice du parc explique à une commune de la Vallée Française qu'elle peut entrer dans l'aire d'adhésion, parce qu'ils ont tous les avantages et aucun des inconvénients. Pour moi, ils appâtent les communes alentour, en mettant un paquet de subventions. Mais je pense, qu'un jour, ces communes comprendront que ce n'était pas pour rien, que ce n'était pas gratuit. Je pense qu'ils n'ont tout simplement plus envie qu'on soit là.
(*) La fédération est composée de 19 groupements pastoraux, dont cinq dans le Gard et quatorze en Lozère. Soit 110 éleveurs pour 14 300 brebis sur 6 700 hectares, "dont 4 700 admissibles, précise Christine Gros. On estime que nos troupeaux passent partout alors que l'État pense qu'on ne peut pas aller à certains endroits. On s'est battus pour intégrer les glands et les châtaignes dans le périmètre à la dernière PAC, parce qu'ils considèrent que ce n'est pas mangeable par les brebis..." La fédération existe depuis une douzaine d'années.