Publié il y a 11 mois - Mise à jour le 03.12.2023 - Stéphanie Marin - 7 min  - vu 2315 fois

FAIT DU JOUR Inondations de décembre 2003 : insubmersibles souvenirs

La commune de Bellegarde a très fortement été touchée par les inondations de décembre 2003. 

- Pascal Crapé

Il y a 20 ans, tous les yeux, les objectifs et les caméras étaient braqués sur le Gard, la partie sud-est plus et la Terre d'Argence plus particulièrement. Après être montée jusqu'à 3 mètres par endroits, l'eau, partout dans les plaines beaucairoises, dans la commune de Beaucaire et la Camargue gardoise, a laissé derrière elle un paysage de désolation. 

Les témoins vissés sur les murs dans les rues sont nécessaires, traces indélébiles de l'ampleur des inondations qui ont touché les communes par le passé. Le delta a connu huit épisodes majeurs entre 1840 et 2003. La Terre d'Argence n'a bien sûr pas été épargnée par les caprices du Rhône. Il y a 20 ans, quatre des cinq communes du territoire ont subi une montée des eaux exceptionnelle, chacune à des niveaux différents en termes d'impact.

Le 3 décembre 2003

Une crue centennale a provoqué d’importantes inondations sur la plaine de Beaucaire et la Camargue Gardoise en rive droite du Rhône et sur la plaine du Trébon et les quartiers nord d’Arles en rive gauche. 227 millions de m³ d’eau se sont déversés, inondant plus de 12 000 personnes et occasionnant près de 700 millions d’euros de dégâts. Des réparations engagées avec l'aide de l'État.

À Beaucaire, par exemple, le Rhône - fleuve alimenté par sept principaux affluents - avait gonflé, conséquence des fortes précipitations tombées dans la région lyonnaise, au point de déborder sur le Champ de Foire, ce qui n'est pas si rare finalement, mais cette fois-ci jusqu'à lécher le haut de la digue de la Banquette. La plaine beaucairoise avait également été submergée à la suite d'une brèche qui s'était formée sur la digue du Petit Rhône au niveau du mas de Petite Argence à Fourques, une autre s'ajoute à Saint-Gilles, à hauteur du mas de Claire-Farine.

Le déroulement des événements, extrait du livre "Mémoires de la crue du Rhône de décembre 2003 Bellegarde du Gard".

Ce mercredi 3 décembre 2003, Alain Matéo, alors responsable des services techniques à la mairie de Beaucaire, âgé de 57 ans, était en charge de la coordination et du suivi de l'évolution de ces inondations. "Je me rendais régulièrement au pont de la rocade, celui à proximité de Fibre Excellence, où il y avait une échelle de repérage. L'eau est montée très vite. Ma crainte, c'était que l'eau qui arrivait de la plaine remplisse le canal du Rhône à Sète et qu'elle se répande dans tout le centre-ville."

Ce scénario craint par le Beaucairois ne s'est pas produit, fort heureusement, toutefois des mas et des maisons ont été sinistrés, des habitants évacués. Notamment un quartier, sur la route de Comps, voisin de la digue de Marguilliers, cette dernière submergée par des vagues. Une vingtaine d'habitations a pris l'eau, entre 50 cm et 1 m, difficile à évacuer même après la décrue, sans l'usage de pompes néerlandaises. La plaine était un secteur aussi très surveillé par Alain Matéo, "j'y ai même laissé une voiture !" La faute à une grosse pierre, laquelle avait roulé jusqu'au beau milieu de la route dans la zone des Costières des Pâtis. "Je roulais dans 20 à 25 cm d'eau, le carter a tapé la pierre, le moteur est passé à travers, se souvient le retraité. Je me suis dirigé vers le premier mas venu et après un coup de fil, on est venu me chercher." 

En décembre 2003, Alain Matéo, était responsable des services techniques à la mairie de Beaucaire. • Photo : Stéphanie Marin

Dans cette plaine se trouvait également le village noir de Beaucaire. Une vaste parcelle municipale où des cabanons de chasseurs avaient été transformés en logements où vivaient quelques marginaux. Gilles Dumas, le maire de Fourques à l'époque et encore aujourd'hui, rapporte le souvenir du sauvetage d'un légionnaire retrouvé complètement tétanisé, retenant à la force des bras les parois de sa caravane, seule la tête hors de l'eau. "Nous n'avions pas grand espoir et pourtant, il a survécu", commente-t-il. Le premier édile fourquésien, lui qui tout petit regardait avec attention ces témoins accrochés sur les murs de sa commune, était sur le pont, dès le mardi 2 décembre, à flanc de digues, avec des bénévoles, des habitants du village. Même la nuit, "on n'y voyait pas grand-chose, mais les bruits nous guidaient, indiquaient ce qui se passait, si l'eau s'infiltrait dans les digues."

Fourques, tout un village évacué

À ce moment-là, le débit du fleuve croît d'heure en heure, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) annonce alors des prévisions comprises entre 10 280 et 11 400 m3/s. Craignant une rupture de digue, Gilles Dumas, aussi président du Syndicat intercommunale des digues du Rhône de Beaucaire à la Mer (SIDR), prend la décision, comme le maire d'Aramon, d'évacuer le quartier nord de sa commune sur les coups d'une heure du matin et de diriger les habitants, entre 30 et 50 personnes, vers Saint-Martin-de-Crau. Avant de vider au petit matin du 3 décembre la totalité du village, "à l'exception d'une quarantaine de réboussiers", le lendemain. Dès lors s'est organisée une vaste opération de surveillance des points d'entrée et de sortie de la commune, pour éviter les pillages.

Gilles Dumas, maire de Fourques.  • Photo : Stéphanie Marin

L'expérience a parlé, à 10h30, suite à une brèche, la digue du Petit Rhône rompt. Le centre du village est épargné, l'eau du fleuve chargée de sable, de limon, et de boue, se dirige vers Bellegarde en inondant toute la plaine. "Elle (la brèche, NDLR) constitue une sorte de siphon naturel qui déleste la crue fangeuse dans la plaine en direction de Bellegarde et de ses 6 000 habitants, à l'endroit où on l'attendait le moins", écrivait le maire de l'époque de Bellegarde, Élie Bataille dans un livre intitulé "Mémoires de la crue du Rhône de décembre 2003 Bellegarde du Gard".

Un homme décédé à Bellegarde

"800 habitations sont inondées à des niveaux variables, 600 seront sinistrées. 2 500 personnes doivent quitter leur habitation. 200 d’entre elles se réfugient dans le centre culturel des Sources. 200 sont accueillies au camp des Garrigues, d’autres à la base aéronavale de Garons. Les autres sont recueillies par des proches, peut-on lire. La commune déplore un mort [...] Ce malheur touche de plein fouet Serge et Cathy Rouzaud, propriétaires du restaurant routier l’Oasis. Leur restaurant et leur maison sont sous l’eau. Thierry, leur fils unique âgé de trente huit ans, vient de décéder. Suite à une nuit de fatigue et de stress, il fait un malaise et meurt dans cette eau glacée du Rhône qui inonde tout le quartier de l’Oasis. Sa jeune femme Armelle était tout à côté de lui."

Thierry Rouzaud a perdu la vie lors de ces inondations de 2003. • Photo : Pascal Crapé

De toutes les communes de la Terre d’Argence, Bellegarde a certainement payé le plus lourd tribut lors de cette terrible inondation, la décrue ne s'amorcera qu'à compter du vendredi 5 décembre. De très nombreuses personnes ne regagneront pas leur maison avant l’été, voire encore plus tard. En se retirant, l'eau laisse derrière elle un paysage de désolation, le montant des dégâts pour cette seule commune est estimé entre 30 et 40 M€.

Photo de Bellegarde publiée dans "Mémoires de la crue du Rhône de décembre 2003 Bellegarde du Gard".

Et déjà des rumeurs courent dont une des plus surprenantes, accusant le maire de Fourques d'être à l'origine de la brèche de Petite Argence, une manière de sacrifier Bellegarde pour sauver sa ville. "Je n'accorde personnellement aucun crédit à ces rumeurs totalement infondées, indiquait Élie Bataille. Il n'est pas juste que les hommes qui se dévouent à la chose publique soient mis en cause de façon irrationnelle et qu'ils soient soupçonnés de mauvaises intentions."

À Vallabrègues, les sacrifiés du Rhône

Tout au long de cet épisode, les communes sinistrées ont pu compter sur une forte mobilisation des secours, locaux et nationaux, aux côtés des habitants, mais aussi des animaux. Le sauvetage des chevaux du centre équestre de Rom par les légionnaires du 1er Régiment étranger du Génie en est un bel exemple. Mais c'est aussi la solidarité qui s'est opérée entre les habitants. "Une solidarité extraordinaire qui s'est toujours exprimée, à Vallabrègues", assure Éliane Lacroix, adjointe au maire en charge de la Culture. Ce village de la Terre d'Argence a également été inondé à la fois par la surverse due au débit du fleuve et au rôle du déversoir joué par la plaine nord de Tarascon, le volume de déversement ce jour-là est estimé à 20 millions de m3.

"Comme Boulbon et Saint-Pierre-de-Mézoargues, nous sommes condamnés à prendre l'eau pour protéger Tarascon, Arles et Beaucaire, rappelle le maire actuel de Vallabrègues. Ce qui fait émerger quelques problématiques notamment en termes d'assurance, le camping municipal a dû notamment faire appel aux services d'une société allemande. Jean-Marie Gilles aimerait la mise en place d'un plan intercommunal, voire interrégional pour aider financièrement sa commune à panser ses plaies après chaque inondation, de l'ordre d'un euro par habitant chaque année. 

À Vallabrègues, la culture du Rhône se transmet de génération en génération, "on n'en a pas peur, on vit à côté, le Rhône a toujours amené la prospérité à Vallabrègues, pour les vanniers, les chaisiers..." Éliane, aujourd'hui âgée de 78 ans, a vécu les inondations de 1958, "depuis les interrupteurs ont été remontés dans les maisons." En ce début du mois de décembre, huit maisons sur dix du village ancien sont envahies par les eaux, les mas aux alentours sont évacués. Éliane se souvient avoir traversé le village en barque pour rejoindre la maison familiale, dans laquelle son fils s'affairait déjà à mettre au sec tout ce qui pouvait l'être. "La décrue a été rapide, dès lors la solidarité entre villageois a pris la rélève pour préparer des repas, laver le linge etc.

Des digues anciennes, la mise en oeuvre du Plan Rhône

Créées au XIXe siècle après les crues de 1840 et 1856, les digues du Rhône présentaient en 2003 des fragilités dues à leur mode de fabrication et à l'effet "mille feuilles" lié aux phases successives de rehaussement et aggravées par des terriers récurrents de blaireux et la présence de nombreux ouvrages traversants. Suite à ces inondations, une stratégie globable de prévention des inondations a été élaborée sous l'égide de l'État et des régions. C'est le fameux Plan Rhône dans lequel figure un programme de sécurisation des ouvrages de protection depuis le barrage de Vallabrègues jusqu'à la mer.

Thibaut Mallet, directeur du Symadrem. • Photo : Stéphanie Marin

Le Symadrem, Syndicat mixte d’aménagement des digues du Rhône et de la mer, créé en juillet 1999 est désigné maître d'ouvrage de ce vaste chantier à cheval sur les région PACA et Occitanie estimé à 450 M€, jusque-là 220 M€ ont été investis (co-financeurs : État (40 %), Régions (30 %), Départements (25 %) et communes (5 %). Sur les 240 km de digues, 60 km ont été traitées en 20 ans, dont 25 km sur 51 km sur la partie gardoise. Partie sur laquelle les travaux devraient se poursuivre jusqu'à 2028. "Ce programme fixe plusieurs objectifs : garantir qu'il n'y ait pas de brèche jusqu'à un niveau de crue millénale, pas de débordement entre Fourques et Beaucaire jusqu'au niveau de la crue centennale, pas de débordement sur le Petit Rhône en aval de l'écluse de Saint-Gilles jusqu'au niveau de la crue cinquantennale", précise Thibaut Mallet, directeur du Symadrem.  Et cela en tenant compte du contexte climatique et des enjeux environnementaux.

Symadrem

Le réhaussement des digues n'est plus une solution acceptable, "le Plan Rhône est basé sur l'acceptation de l'inondation", poursuit Thibaut Mallet. Donc plutôt que de réhausser les digues, certains tronçons d'ouvrages ont été redimensionnés afin d'être résistants à la surverse. Ces digues sont donc désormais calées pour contenir sans déversement, des crues rares de période de retour d'environ 100 ans en amont d'Arles et 50 ans en aval. Au-delà, elles sont renforcées pour laisser se déverser l'eau sans entraîner la ruine de la digue. Lors de fortes crues avec des inondations, il y aura des entrées d'eau, mais elles seront 10 à 20 fois moins importantes qu'en cas de brèche. L'inondation sera lente, connue à l'avance et gérable par les autorités compétentes en matière de secours.

Stéphanie Marin

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