Publié il y a 1 an - Mise à jour le 27.11.2022  - 7 min  - vu 565 fois

FAIT DU SOIR Trois dates et un Carré d'art dédié au Goncourt

Depuis 1903, le prix Goncourt distingue le "meilleur roman" publié dans l'année, en privilégiant autant que possible "la jeunesse" et "l'originalité du talent." Deux écrivains nîmois ont été primés : Marc Bernard en 1942 et Jean Carrière en 1972. Une exposition retraçant ces grandes dates est à découvrir à Carré d'art de Nîmes jusqu'au 29 janvier prochain.

Avant ces auteurs lauréats, une autre figure liée à la ville de Nîmes a joué un rôle de premier plan dans la préhistoire du prix : Alphonse Daudet, exécuteur du testament des Goncourt dont la rédaction définitive date de 1892. En réalité, donc, ce sont trois dates qui sont célébrées à travers cette exposition : 1892, 1942 et 1972. Trois anniversaires qui jalonnent l'histoire des relations entre Nîmes et le Goncourt.

D'emblée le visiteur est mis dans l'ambiance. Les auteurs gardois cartonnent, et, surprise, le Goncourt le plus vendu est gardois. On a tous en tête les chiffres exceptionnels du roman d'Hervé Le Tellier qui atteint le million d'exemplaires en grand format. Cela en en fait d'ailleurs le Goncourt le plus vendu après... roulement de tambour, "L'épervier de Maheux" (deux millions) et "L'amant" de Marguerite Duras (1,6 million). L'épervier est le Goncourt signé Jean Carrière, le dernier gardois en date.

Alphone Daudet

Mais l'histoire remonte... Tout débute entre Alphone Daudet et Edmond de Goncourt. Issus de la petite aristocratie lorraine, Edmond (1822-1896) et Jules de Goncourt (1830-1870) peuvent, grâce à leurs rentes, se consacrer, ensemble, à ce qu'ils aiment : l'écriture romanesque, la collection d'antiquités, la sociabilité littéraire et mondaine. Cette dernière alimentant la plume acerbe de leur journal. Réactionnaires en politique, ils sont modernes en littérature, partisans du "naturalisme" dont les principes sont posés dans la préface de Germinie Lacerteux (1864), ce livre qui "vient de la rue" et s'inspire de la double vie de leur servante.

Ce sont les nîmois Daudet, Bernard et Carrière qui sont les stars de l'expo (Photo Anthony Maurin).

Edmond de Goncourt se lie d'amitié avec Alphonse Daudet dès 1874. Il l'entraîne à sa suite, tous les jeudis, chez Brébant, au "dîner des cinq", où ils retrouvent Flaubert, Zola et l'écrivain russe Tourgueniev. Le jeune méridional y brille par sa verve, sa drôlerie, sa beauté. Alphonse est naturellement de tous les dimanches au "Grenier" d'Auteuil où Edmond réunit, à partir de 1884, ses invités, exclusivement des hommes, tout comme Edmond fréquente assidûment le salon que Julia, l'épouse d'Alphonse, tient dans leur appartement du faubourg Saint-Germain, ou les parties de campagne dans leur maison de Champrosay, à Draveil.

La proximité des deux hommes est grande et Alphonse paraît tenir auprès de son aîné le rôle du frère prématurément disparu Edmond écrit ainsi, dans son journal, le 6 août 1885 : "Je disais aujourd'hui à Daudet que son intimité m'avait donné une seconde jeunesse de l'esprit, qu'il était, après mon frère, le seul être contre l'esprit duquel mon esprit aimait à "battre le briquet".

L'histoire du Goncourt est aussi liée à Nîmes (Photo Anthony Maurin).

Les liens privilégiés qui unissent Edmond à Alphonse, la stature littéraire du romancier (il est l'auteur qui vend le plus avec Zola) font de Daudet le profil idéal pour présider la future société littéraire, même si ce dernier reste assez sceptique sur le projet de Goncourt et lorgne plutôt, sans trop le dire, du côté de l'Académie française, cette "vieille putain gâteuse" honnie par Goncourt.

En proie depuis 1885 à de vives douleurs, Alphonse Daudet meurt un an et demi après son ami, sans avoir eu le temps de siéger à l'Académie. Son fils Léon, écrivain et polémiste d'extrême-Droite, le remplacera et en sera l'un des membres les plus influents jusqu'à son décès en 1942.

Marc Bernard

Marc Bernard obtient le prix Goncourt en 1942 pour son roman "Pareils à des enfants" où il redonne avec une grande acuité sa sensibilité et son regard d'enfant. Le roman, à caractère autobiographique, se déroule à Nîmes, la ville de sa jeunesse.

Un lmur dédié à Marc Bernard (Photo Anthony Maurin).

Rien ne prédestine Marc Bernard, issu de la classe ouvrière, à devenir un écrivain reconnu, si ce n'est son amour des gens, une grande curiosité et un sens de l'observation accru. Il est intégré au milieu littéraire de la capitale grâce à la parution de son premier roman "Zig-Zag" (1929) que Jean Paulhan, un autre nîmois installé à Paris, se charge d'éditer à la NRF.

D'abord proche du communisme et du surréalisme, il s'en éloigne progressivement bien qu'il participe comme critique littéraire à la revue d'Henri Barbusse Monde et défend la "littérature prolétarienne". Il se concentre par la suite davantage à sa carrière d'auteur.

Le mariage de Marc Bernard par Gérard Lattier (Photo Anthony Maurin).

Lorsque son nom est proposé pour le prix Goncourt, l’écrivain nîmois peine à y croire et, jusqu'au bout, le suspens demeure entier "...me voici en pleine fièvre. Mes supporters m'excitent au cri et du geste", écrit-il à Paulhan le 4 décembre 1942. Lors de la séance de vote du jury, il est proposé et soutenu par le gardois Léo Larguier et par Roland Dorgeles. Il est élu dès le premier tour par sept voix contre trois (une voix est attribuée à Germaine Beaumont pour "Du Rebatet pour les décombres"). Il reçoit ainsi la deuxième récompense de sa carrière, après avoir obtenu en 1934 le prix Interallié pour "Anny".

Cette reconnaissance tombe à point. Sa femme Elsa est juive et le couple a désormais les moyens, grâce à la dotation du prix de fuir plus facilement les persécutions. Cependant, l'édition n'est pas favorisée par la période qui connait une pénurie de papier. De toutes les œuvres lauréates "Pareils à des enfants" est celle comptant le moins d'exemplaires publiés.

Des livres de Marc Bernard (Photo Anthony Maurin).

Outre des romans (Les exilés, La cendre, La mort de la bien-aimée) pour certains à caractère autobiographique, Marc Bernard a aussi écrit des pièces de théâtre (Les voix et Le carafon) des essais (Les journées ouvrières des 9 et 12 février, Sarcellopolis, À l'attaque !...), des nouvelles (Rencontres et Vacances...).

Jean Carrière

Jean Carrière naît le 6 août 1928 à Nîmes. Sa mère est musicienne de formation, son père chef d'orchestre. Son enfance est heureuse, ses parents lui témoignant beaucoup d'affection. Il apprend très tôt à aimer, voire à adorer les lieux dans lesquels il vit, surtout la garrigue des alentours de Nîmes. Dans ses écrits, il identifiera son enfance à un "royaume", qu'il dira avoir perdu lorsqu'il montera à Paris en 1953 pour être critique musical et chroniqueur littéraire à la radio.

Des chiffres incroyables pour l'Épervier de Maheux (Photo Anthony Maurin).

La vie de Jean Carrière connaît un véritable tournant quand il devient secrétaire particulier de Jean Giono, à Manosque, en 1956. C'est en fréquentant celui qui se décrivait comme un "voyageur immobile" que Jean Carrière décidera de se vouer à l'écriture.

Un premier roman voit le jour en 1967. Retour à Uzès, lauréat du prix de l'Académie française. Le livre rencontre ainsi un réel succès critique et public, mais rien de comparable avec "L'épervier de Maheux", paru en 1972 qui obtient le prix Goncourt et se serait vendu, en grand format, à près de deux millions d'exemplaires.

(Photo Anthony Maurin).

Avec "L'épervier de Maheux", Jean Carrière a cherché à écrire un roman métaphysique âpre et sombre. Son action s'ancre dans un territoire, celui des Cévennes, mais son propos dépasse de loin de simples préoccupations régionalistes et toute volonté de pittoresque.

Jean Carrière travaille ainsi dans la lignée de ses modèles, au premier rang desquels Jean Giono, ainsi que William Faulkner et les romanciers du deep South américain.

(Photo Anthony Maurin).

Pour l'auteur de "L'épervier de Maheux", le succès proprement phénoménal de son livre est le déclencheur d'un long épisode de dépression et de stérilité créatrice. Jean Carrière souffre également d'être pris pour une sorte d'écrivain "du terroir", alors que ce n'est pas du tout ce qu'il cherche à être. Il rendra compte de cette expérience douloureuse en 1987 dans "le Prix d'un Goncourt".

Malgré sa période dépressive, Jean Carrière fait paraître en 1979 "La caverne des pestiférés" où il met de nouveau en scène le Haut-Pays cévenol. D'autres romans et des essais suivent, jusqu’à sa mort en 2005. À la disparition de Jean Carrière, Julien Gracq écrit : "La vraie littérature ne trouve plus guère de combattant aussi fougueux et aussi complètement engagé en elle."

C'est à Carré d'Art que l'expo est à retrouver (Photo Anthony Maurin).

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