Dans les années 20, plusieurs caves coopératives ont poussé dans le Gard. Celle de Tavel a vu le jour plus tardivement en 1937 à l'initiative d'une cinquantaine de vignerons. Ces derniers ne voulaient pas d'une cave classique, mais une construction traduisant l'originalité des vins de Tavel. Christian Paly, président de la cave depuis 1990, raconte : "C'est le premier édifice à marquer un virage à 180° en termes de conception architecturale. Une cave coopérative est en général en béton, s'élève vers le ciel et a une fonction 100% utilitaire sans vocation à s'inscrire dans le paysage."

Pas à Tavel, où on a "décidé de marier l'utile à l'agréable". Selon les mots de Christian Paly, les vignerons de 1937 ont fait "le choix magique" de désigner comme architecte Henri Floutier, connu pour avoir imaginé plusieurs caves coopératives comme à Aubais, Chusclan ou Aigues-Vives. Armand Pellier a aussi été choisi comme sculpteur, en témoigne le bas-relief gravé en front de cave représentant Bacchus qui symbolise la protection des vignerons et le contrôle de la qualité des vendanges. "Il nous donne même la météo. Quand la pierre rosit, c'est signe de pluie", atteste Christian Paly.

"On a beaucoup hésité à accepter"

À l'époque, l'édifice avait été inauguré en grande pompe le 31 juillet 1938 en présence du président de la République de l'époque, Albert Lebrun, avec Édouard Daladier, président du conseil des ministres et qui deviendra par la suite maire d'Avignon. Des décennies plus tard, au début des années 2010, la qualité architecturale de la cave coopérative est reconnue. Christian Paly reçoit alors la visite de la DRAC qui a découvert l'originalité de la cave de Tavel à travers les pages de l'ouvrage "Caves coopératives en Languedoc-Roussillon". Il y est mentionné que la création de la cave coopérative de Tavel "impulse un nouvel et vigoureux élan à l'architecture régionaliste locale". Au départ, il était question de classer l'édifice sous le label "Patrimoine du XXe siècle" mais après réflexion, la DRAC a également proposé aux vignerons une inscription aux Monuments historiques. 

Christian Paly, président depuis déjà vingt ans à ce moment-là, ne nous le cache pas : "On a beaucoup hésité à accepter." Car lui et les autres vignerons imaginaient bien toutes les contraintes administratives, tous les contrôles que ça allait engendrer alors que la cave est toujours en fonctionnement et bénéficie régulièrement d'investissements. "On a pesé le pour et le contre et on a finalement accepté. Plusieurs éléments ont fait pencher la balance. Déjà la fierté d'être reconnus comme très original sur le plan patrimonial et architectural", indique le président de la cave. Il faut dire que les générations de vignerons qui se sont succédé ont toutes respecté les codes architecturaux posés par Floutier et Pellier.

Et c'est justement pour éviter tout risque de dénaturation du lieu que les vignerons ont accepté cette inscription aux Monuments historiques (*). "C'est le moyen de nous protéger contre nous-mêmes et aussi d'éviter de se retrouver un jour avec un bâtiment qui pourrait dégrader la perspective ou l'image de la cave", ajoute Christian Paly.

Il y a dix ans, se dessinaient aussi les prémices de l'oenotourisme et les vignerons de Tavel y ont vu un atout pour attirer des visiteurs en quête d'expérience en lien avec le vin. Et ça a marché puisque dans les premiers temps, des touristes, amateurs de nectar ou d'histoire, venaient spécialement pour visiter ce qui était l'unique cave coopérative française encore en activité inscrite aux Monuments historiques. 

De la pierre de taille, des tuiles romanes, des arceaux en série

Mais alors qu'est-ce qui fait son originalité ? Il y a bien sûr le Bacchus baromètre, mais aussi le style que Henri Floutier qualifiait de "néo-provençal". Pas de béton, mais de la pierre de taille de Tavel et d'harmonieux arceaux. Pas de toit plat, mais des doubles pentes avec des tuiles romanes et des génoises. "Pour le château d'eau, au lieu de faire une tour en béton qui s'élève dans le ciel, il y a un pigeonnier. Une partie de la cave est en sous-sol. On s'inscrit vraiment bien dans le paysage", décrit Christian Paly. 

Alors qu'il pousse la porte pour entrer dans le hall de la cave, il poursuit : "Un autre élément original, c'est l'intérieur de la cave qui est très élargi. On appelle cette partie-là "la chapelle des vins" et n'a pas d'utilité technique. On s'en sert comme lieu d'exposition ou pour accueillir nos évènements." Il nous emmène à côté au milieu des cuves recouvertes de carrelage où sont encore aujourd'hui vinifiées les cuvées terroir de l'appellation : "Autre originalité, on ne trouvait jamais avant Tavel de couloirs aussi larges entre les cuiveries. C'est une certaine perte de place, mais ça amplifie la majesté du lieu et ça nous arrange dans notre travail. Il y avait déjà une certaine idée de l'ergonomie à l'époque."

Les 10 ans de l'inscription aux Monuments historiques sûrement célébrés pendant les Journées européennes du patrimoine

Dix ans après l'inscription, on peut dire que les vignerons ont su relever le challenge et ont appris à faire avec l'avis des Bâtiments de France lorsqu'ils doivent apporter une modification à la cave. Aujourd'hui, ils composent aussi avec les vignerons de Lirac et Saint-Laurent-des-Arbres, avec qui ils se sont rassemblés et ont créé "l'Alliance des crus" en 2018.

Désormais, la cave coopérative compte une centaine de vignerons qui apporte entre 34 et 35 000 hectolitres dans les bonnes années. La cave est le premier producteur du cru de Tavel avec 50% de la production et contribue aussi à hauteur de 10% de l'AOC Lirac. 

Encore aujourd'hui, l'inscription aux Monuments historiques de la cave est très valorisée dans la politique de communication. "On était aussi la première cave coopérative à être inscrite dans les guides touristiques départementaux et régionaux et même dans les guides randonnées", assure le président. L'ouverture aux visiteurs passe maintenant à travers des soirées à thème, des visites, des sentiers de randonnée...

À l'occasion des Journées européennes du patrimoine, la cave devrait fêter le 10e anniversaire de son inscription aux Monuments historiques en association avec la chapellerie Mouret à Avignon qui, elle, célèbre son centenaire et a aussi été classée en 1995. 

* Ce sont l'enveloppe extérieure initiale de la cave, son hall d'entrée et la salle des cuiveries qui ont été inscrites aux Monuments historiques.