GARD Quand les Magdaléniens étaient à Bellegarde
À Bellegarde, une équipe d’archéologues de l’Inrap avait découvert des gravures du Paléolithique récent.
Rappelez-vous cette belle découverte faite il y a peu de temps. C’est par le hasard d’une demande d’extension d’un site sensible qu’une fouille préventive a été ordonnée. Par chance, les archéologues ont pu découvrir de formidables surprises.
Ainsi, entre Nîmes et Arles, une équipe d’archéologues de l’Inrap, dirigée par Marilyne Bovagne et Vincent Mourre, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, a découvert des gravures du Paléolithique récent lors de la fouille du site de Piechegu à Bellegarde. Les thèmes figurés comprennent des profils de chevaux, gravés sur de petites plaquettes de calcaire gréseux. Les découvertes réalisées sont exceptionnelles par leur localisation et par leur âge.
Totalement inattendues aux portes de la Camargue, les profils de chevaux, réalisés sur de petites plaquettes de calcaire gréseux, datent du tout début du Magdalénien (-20 000 ans) et figurent ainsi parmi les plus anciennes œuvres connues pour cette culture du Paléolithique, au même titre que les peintures et gravures pariétales de la grotte de Lascaux.
Géographiquement, le gisement se situe à proximité de la frontière entre deux régions considérées comme des aires culturelles distinctes, délimitées par le cours inférieur du Rhône et de la Durance. À l’ouest et au nord se trouve une zone associée à la succession classique des manuels de Préhistoire : Aurignacien / Gravettien / Solutréen / Magdalénien / Azilien. Au sud-est, l’Épigravettien succède au Gravettien et voit perdurer un certain nombre de ses spécificités techniques et culturelles jusqu’à la fin du Paléolithique récent.
Les industries, les éléments de parure et les œuvres gravées de Bellegarde nous offrent l’opportunité de questionner la pertinence de cette bipartition puisque les éléments stylistiques autorisent des comparaisons avec les œuvres de la deuxième phase d’occupation de la grotte Cosquer, au cœur du territoire épigravettien.
De manière générale, les œuvres d’art mobilier, réalisées sur des supports transportables, sont plus fréquentes dans le bassin aquitain et les Pyrénées. Souvent les objets ornés sont mis au jour dans des grottes, beaucoup plus rarement dans un campement de plein air comme c’est ici le cas.
« En 2016, les archéologues ont exhumé un véritable trésor de notre passé, révélant un campement de chasseurs-cueilleurs datant du Paléolithique. Pendant près de 6 000 ans, nos ancêtres ont foulé cette terre, profitant de ses ressources et de sa vue imprenable sur la plaine de la Petite Camargue, où les troupeaux de chevaux et de rennes parcouraient alors les paysages. Les vestiges retrouvés témoignent de leur ingéniosité technique et artistique » explique Juan Martinez, maire de Bellegarde et président de la communauté de communes.
Et l’édile de poursuivre, « Ce qui rend cette découverte encore plus précieuse, c'est la mise au jour d'éléments figurés sur des plaquettes gravées. Ces œuvres, présentant des représentations de chevaux, rappellent celles de la célèbre grotte de Lascaux. Cette découverte unique renforce l'importance du site de Bellegarde dans le panorama de l'art préhistorique. »
À Bellegarde, les éléments figurés sur les plaquettes gravées les plus anciennes (Magdalénien inférieur initial, -20 000) sont des profils de chevaux. L’une présente un profil de cheval isolé, aux nombreux détails anatomiques précis : naseau, bouche, ganache, œil, crinière, oreilles.
L’autre porte trois profils de chevaux juxtaposés avec yeux, ganaches, toupet. La figuration des oreilles de l’un des chevaux au moyen de petits segments rectilignes « en antennes » est un trait stylistique que l’on retrouve dans certaines cavités en Ardèche mais aussi dans la grotte Cosquer à Marseille et à Lascaux en Dordogne.
Dans un niveau plus récent (Magdalénien moyen, -16 000), une gravure exceptionnelle est interprétée comme une vulve, figurée de manière exagérée et disproportionnée, encadrée par le haut des jambes. Des représentations de vulves isolées sont connues sur des plaques et des blocs dans quelques sites plus anciens (Aurignacien) en Dordogne.
Au Magdalénien, les exemples documentés jusqu’alors étaient le plus souvent des œuvres pariétales, que ce soit en Espagne ou dans le Sud-Ouest de la France. L’agencement incluant un triangle pubien rattaché à deux jambes est exceptionnel et n’a qu’un seul équivalent connu, sur une paroi de la grotte de Cazelle, en Dordogne.
De fines incisions plus difficiles à interpréter ont également été observées sur une grande dalle d’une cinquantaine de centimètres. Celle-ci a été découverte brisée sur le sol d’un habitat, parmi d’innombrables objets de silex taillé. Il s’agit là d’une expression artistique extrêmement rare et peu documentée jusqu’à présent, puisque cela évoque une forme d’art sur dalle dressée, au sein même de l’espace domestique.
Visible de toutes et tous, elle est très différente des peintures et gravures des grottes ornées, sans doute peu accessibles quotidiennement au commun des mortels. Difficilement transportable du fait de sa masse et de ses dimensions imposantes, il ne s’agit pas non plus d’un art mobilier.
Le gisement du Paléolithique de Bellegarde a été exploré sur environ 2 000 m² par des archéologues de l’Inrap en 2016. L’extension d’un site d’enfouissement de déchets avait alors déclenché une fouille archéologique préventive. Le gisement témoigne d’une exceptionnelle succession d’occupations réparties en cinq grandes phases s’échelonnant sur environ 6 000 ans et couvrant quasiment tout le Magdalénien, depuis -20 000 jusqu’à -14 000.
La séquence a bénéficié de 17 datations par le carbone 14, remarquablement cohérentes. Ces ensembles homogènes, représentatifs et bien datés font que le site de Bellegarde est amené à devenir une référence à l’échelle régionale et nationale.
Au total, 24 000 litres de sédiments ont été tamisés à l’eau, permettant de collecter une part importante des outils et des armes en silex, parfois réalisés sur des lamelles de toutes petites dimensions. La fouille et le tri méticuleux des sédiments tamisés ont permis de recueillir des informations concernant le paléoenvironnement du site. Des ossements de renne renvoient à un climat froid.
Des températures plus basses qu’à l’heure actuelle sont confirmées par la présence de charbons de bois de pin de type sylvestre et de bouleau. Plusieurs niveaux d’occupation ont également livré de petits coquillages perforés issus des rives de la mer Méditerranée. Sur certains, la présence de traces d’usures indique qu’ils ont été portés comme perles, suspendues ou cousues aux vêtements.
L’opération de Bellegarde comptait au total cinq zones de fouille sur six hectares. Hormis celles du Paléolithique récent, des occupations datant de la Préhistoire récente (Néolithique ancien, moyen et final), de la Protohistoire (âges du Bronze et du Fer), de l’Antiquité, du Moyen Âge et de l’Époque moderne ont été fouillées. Près d’un millier de structures ont été exhumées. Certaines définissent des unités d’habitation, de stockage, ou encore d’artisanat, d’autres se rattachent à l’exploitation agraire du terroir. Enfin, dès le cinquième millénaire avant notre ère, des groupes humains y ont parfois enterré leurs défunts.