Publié il y a 13 h - Mise à jour le 24.12.2024 - Anthony Maurin avec l'Inrap - 5 min  - vu 174 fois

GARD Quand les Magdaléniens étaient à Bellegarde

La fouille réalisée par l’Inrap en 2016 a révélé une occupation régulière du site de Bellegarde (Gard) entre la Préhistoire et l’époque moderne. Les niveaux les plus anciens ayant livré un exceptionnel mobilier paléolithique ont été découverts à environ 7m de la surface actuelle. © Rémi Benali, Inrap

- Rémi Bénali/INRAP

À Bellegarde, une équipe d’archéologues de l’Inrap avait découvert des gravures du Paléolithique récent.

La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)
La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 avec la fameuse "vulve" (Photo Archives Anthony Maurin)

Rappelez-vous cette belle découverte faite il y a peu de temps. C’est par le hasard d’une demande d’extension d’un site sensible qu’une fouille préventive a été ordonnée. Par chance, les archéologues ont pu découvrir de formidables surprises.

Ainsi, entre Nîmes et Arles, une équipe d’archéologues de l’Inrap, dirigée par Marilyne Bovagne et Vincent Mourre, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, a découvert des gravures du Paléolithique récent lors de la fouille du site de Piechegu à Bellegarde. Les thèmes figurés comprennent des profils de chevaux, gravés sur de petites plaquettes de calcaire gréseux. Les découvertes réalisées sont exceptionnelles par leur localisation et par leur âge.

Découverts dès le début de la fouille du site de Bellegarde, les silex paléolithiques ont par la suite été étudiés en laboratoire par les spécialistes de l’Inrap © Rémi Benali, Inrap

Totalement inattendues aux portes de la Camargue, les profils de chevaux, réalisés sur de petites plaquettes de calcaire gréseux, datent du tout début du Magdalénien (-20 000 ans) et figurent ainsi parmi les plus anciennes œuvres connues pour cette culture du Paléolithique, au même titre que les peintures et gravures pariétales de la grotte de Lascaux.

Géographiquement, le gisement se situe à proximité de la frontière entre deux régions considérées comme des aires culturelles distinctes, délimitées par le cours inférieur du Rhône et de la Durance. À l’ouest et au nord se trouve une zone associée à la succession classique des manuels de Préhistoire : Aurignacien / Gravettien / Solutréen / Magdalénien / Azilien. Au sud-est, l’Épigravettien succède au Gravettien et voit perdurer un certain nombre de ses spécificités techniques et culturelles jusqu’à la fin du Paléolithique récent.

Au pied des Costières de Nîmes, aux portes de la Camargue, le site de Bellegarde fouillé par l’Inrap en 2016 a livré un important mobilier paléolithique © Rémi Benali, Inrap

Les industries, les éléments de parure et les œuvres gravées de Bellegarde nous offrent l’opportunité de questionner la pertinence de cette bipartition puisque les éléments stylistiques autorisent des comparaisons avec les œuvres de la deuxième phase d’occupation de la grotte Cosquer, au cœur du territoire épigravettien.

De manière générale, les œuvres d’art mobilier, réalisées sur des supports transportables, sont plus fréquentes dans le bassin aquitain et les Pyrénées. Souvent les objets ornés sont mis au jour dans des grottes, beaucoup plus rarement dans un campement de plein air comme c’est ici le cas.

La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)
Marilyne Bovagne et Vincent Moure, les responsables des fouilles lors de la restitution de leur premières études en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)

« En 2016, les archéologues ont exhumé un véritable trésor de notre passé, révélant un campement de chasseurs-cueilleurs datant du Paléolithique. Pendant près de 6 000 ans, nos ancêtres ont foulé cette terre, profitant de ses ressources et de sa vue imprenable sur la plaine de la Petite Camargue, où les troupeaux de chevaux et de rennes parcouraient alors les paysages. Les vestiges retrouvés témoignent de leur ingéniosité technique et artistique » explique Juan Martinez, maire de Bellegarde et président de la communauté de communes.

La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)
La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)

Et l’édile de poursuivre, « Ce qui rend cette découverte encore plus précieuse, c'est la mise au jour d'éléments figurés sur des plaquettes gravées. Ces œuvres, présentant des représentations de chevaux, rappellent celles de la célèbre grotte de Lascaux. Cette découverte unique renforce l'importance du site de Bellegarde dans le panorama de l'art préhistorique. »

Suite à la fouille, 22 500 litres de sédiments prélevés sur le site de Bellegarde (Gard) ont été tamisés à l’eau, ce qui a permis de recenser plus de 100 000 silex © Rémi Benali, Inrap

À Bellegarde, les éléments figurés sur les plaquettes gravées les plus anciennes (Magdalénien inférieur initial, -20 000) sont des profils de chevaux. L’une présente un profil de cheval isolé, aux nombreux détails anatomiques précis : naseau, bouche, ganache, œil, crinière, oreilles.

L’autre porte trois profils de chevaux juxtaposés avec yeux, ganaches, toupet. La figuration des oreilles de l’un des chevaux au moyen de petits segments rectilignes « en antennes » est un trait stylistique que l’on retrouve dans certaines cavités en Ardèche mais aussi dans la grotte Cosquer à Marseille et à Lascaux en Dordogne.

Les plaquettes les plus anciennes découvertes à Bellegarde datent du Magdalénien inférieur initial (-20 000). On identifie ici un profil gauche de tête de cheval avec petites oreilles « en antennes », comparable aux motifs visibles dans les grottes Cosquer à Marseille et Lascaux en Dordogne © Denis Gliksman, Inrap • © 2008 Denis Gliksman

Dans un niveau plus récent (Magdalénien moyen, -16 000), une gravure exceptionnelle est interprétée comme une vulve, figurée de manière exagérée et disproportionnée, encadrée par le haut des jambes. Des représentations de vulves isolées sont connues sur des plaques et des blocs dans quelques sites plus anciens (Aurignacien) en Dordogne.

Au Magdalénien, les exemples documentés jusqu’alors étaient le plus souvent des œuvres pariétales, que ce soit en Espagne ou dans le Sud-Ouest de la France. L’agencement incluant un triangle pubien rattaché à deux jambes est exceptionnel et n’a qu’un seul équivalent connu, sur une paroi de la grotte de Cazelle, en Dordogne.

La fouille réalisée par l’Inrap en 2016 a révélé une occupation régulière du site de Bellegarde (Gard) entre la Préhistoire et l’époque moderne. Les niveaux les plus anciens ayant livré un exceptionnel mobilier paléolithique ont été découverts à environ 7m de la surface actuelle. © Rémi Benali, Inrap • Rémi Bénali/INRAP

De fines incisions plus difficiles à interpréter ont également été observées sur une grande dalle d’une cinquantaine de centimètres. Celle-ci a été découverte brisée sur le sol d’un habitat, parmi d’innombrables objets de silex taillé. Il s’agit là d’une expression artistique extrêmement rare et peu documentée jusqu’à présent, puisque cela évoque une forme d’art sur dalle dressée, au sein même de l’espace domestique.

Visible de toutes et tous, elle est très différente des peintures et gravures des grottes ornées, sans doute peu accessibles quotidiennement au commun des mortels. Difficilement transportable du fait de sa masse et de ses dimensions imposantes, il ne s’agit pas non plus d’un art mobilier.

Plusieurs niveaux d’occupation de l’époque magdalénienne ont livré de petits coquillages perforés issus des rives de la mer Méditerranée. Sur certains, la présence de traces d’usures indique qu’ils ont été portés comme perles, suspendues ou cousues aux vêtements © Denis Gliksman, Inrap

Le gisement du Paléolithique de Bellegarde a été exploré sur environ 2 000 m² par des archéologues de l’Inrap en 2016. L’extension d’un site d’enfouissement de déchets avait alors déclenché une fouille archéologique préventive. Le gisement témoigne d’une exceptionnelle succession d’occupations réparties en cinq grandes phases s’échelonnant sur environ 6 000 ans et couvrant quasiment tout le Magdalénien, depuis -20 000 jusqu’à -14 000.

La séquence a bénéficié de 17 datations par le carbone 14, remarquablement cohérentes. Ces ensembles homogènes, représentatifs et bien datés font que le site de Bellegarde est amené à devenir une référence à l’échelle régionale et nationale.

La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)
Une possible vue et vie du groupe fouillé (Photo Archives Anthony Maurin)

Au total, 24 000 litres de sédiments ont été tamisés à l’eau, permettant de collecter une part importante des outils et des armes en silex, parfois réalisés sur des lamelles de toutes petites dimensions. La fouille et le tri méticuleux des sédiments tamisés ont permis de recueillir des informations concernant le paléoenvironnement du site. Des ossements de renne renvoient à un climat froid.

Des températures plus basses qu’à l’heure actuelle sont confirmées par la présence de charbons de bois de pin de type sylvestre et de bouleau. Plusieurs niveaux d’occupation ont également livré de petits coquillages perforés issus des rives de la mer Méditerranée. Sur certains, la présence de traces d’usures indique qu’ils ont été portés comme perles, suspendues ou cousues aux vêtements.

La restitution des fouilles du site Piechegu à Bellegarde en 2023 (Photo Archives Anthony Maurin)
Nos ancêtres ont-ils faits ces gestes à cet endroit ? Sans aucun doute (Photo Archives Anthony Maurin)

L’opération de Bellegarde comptait au total cinq zones de fouille sur six hectares. Hormis celles du Paléolithique récent, des occupations datant de la Préhistoire récente (Néolithique ancien, moyen et final), de la Protohistoire (âges du Bronze et du Fer), de l’Antiquité, du Moyen Âge et de l’Époque moderne ont été fouillées. Près d’un millier de structures ont été exhumées. Certaines définissent des unités d’habitation, de stockage, ou encore d’artisanat, d’autres se rattachent à l’exploitation agraire du terroir. Enfin, dès le cinquième millénaire avant notre ère, des groupes humains y ont parfois enterré leurs défunts.

Fouilles site Piechegu Bellegarde Magdalénien (Photo Archives Anthony Maurin)
Parmi les mobiliers archéologiques découverts à Bellegarde, cette grande dalle gravée, cassée sur place au sein d’une occupation du Magdalénien inférieur initial ; certains fragments portent de fines incisions demeurant difficiles à interpréter (Photo Archives Anthony Maurin)

Anthony Maurin avec l'Inrap

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