FAIT DU JOUR Ces Gardois qui ne veulent pas partir à la retraite
Ce mardi 7 mars, une journée de grève massive s'annonce pour dire non au projet de réforme des retraites. La principale mesure de reporter l'âge de départ à 64 ans suscite beaucoup d'opposition. Nous avons décidé de prendre le contre-pied en rencontrant ces Gardois qui n'ont aucune envie d'arrêter de travailler, même à 65 ans passés.
Jocelyne Gayte, crêpière, à Bagnols-sur-Cèze : "Je ne suis pas faite pour rester chez moi"
Jocelyne Gayte a ouvert sa crêperie le 1er février 1980 au n°75 de la rue de la République. Avec une surface de 13 m², il s'agit du plus petit local de cet axe piétonnier de Bagnols-sur-Cèze. 43 ans plus tard, la commerçante vient toujours travailler avec le sourire et avec envie. Elle aura 67 ans en octobre, mais songer à la retraite, très peu pour elle : "En 2020, j'ai subi ces 2-3 mois de confinement où je n'ai pas pu ouvrir ma crêperie. J'ai bien compris à ce moment-là que je ne suis pas faite pour rester chez moi. Pourtant, j'ai une belle maison, un jardin, une piscine, mais j'ai trop besoin du contact avec les autres. M'arrêter de travailler, c'est impossible."
D'un côté, son mari et ses enfants lui demandent souvent quand est-ce qu'elle va prendre sa retraite, mais d'un autre, Joce, comme ses clients la surnomment, en est incapable. "Je n'ai pas envie de partir. C'est ma vie, mon rythme. Je suis du genre hyperactive. Quand je suis le dimanche à la maison, je fais ce que j'ai à faire, mais j'ai hâte de retourner travailler le lundi", assure-t-elle. Jocelyne Gayte ouvre 6 jours/7, le midi et les après-midi. Au fil des années, elle a rassemblé une clientèle fidèle pour qui elle est devenue bien plus que la crêpière : "Je fais beaucoup de social, je discute. J'ai un contact privilégié que des gens ne trouvent plus dans les grandes surfaces. Je pense que c'est d'ailleurs la seule chose capable de sauver le commerce de centre-ville."
"Dans beaucoup de pays qui nous entourent, c'est 67 ans"
Des fois, elle écoute simplement les Bagnolais parler de leurs douleurs, de leurs enfants. Mais certains lui vouent une confiance absolue : "Certains m'amènent même leurs analyses médicales et me demandent si ça va ou pas. D'autres savent que j'écris facilement alors je leur rédige des courriers. J'ai l'impression d'être utile, de servir à quelque chose. Toutes les personnes que je peux aider, je les aide." Même auprès des lycéens, la sympathie de Joce lui vaut d'être considérée "un peu comme leur deuxième maman".
Difficile de faire une croix sur tout cela, alors la retraite viendra un jour "mais pas tout de suite". Jocelyne Gayte espère faire encore deux ou trois ans au moins : "Tout est une histoire de santé. L'hiver, il fait froid dans mon local, l'été, on n'est pas loin des 50°C. Il faut rester debout..." Elle veut continuer de travailler aussi pour toujours être indépendante financièrement et ne pas devoir demander de l'argent à son mari : "La retraite que je vais toucher est minime. Même si je vendais la crêperie, je prendrais un petit boulot à côté pour me faire un complément."
Malgré la grève, la commerçante gardera le rideau ouvert ce mardi. Si elle déplore que certaines entreprises poussent leurs seniors vers la sortie, elle n'est pas foncièrement opposée à reporter l'âge de départ à la retraite à 64 ans : "Dans beaucoup de pays qui nous entourent, c'est 67 ans. Alors pourquoi pas 64 ans chez nous, en faisant des aménagements pour les femmes, les métiers pénibles bien sûr. Les gens vivent de plus en plus vieux, ça a un coût."
À Nîmes, Katia Leforestier travaille en tant que femme ménage depuis ses 16 ans. Aujourd’hui âgée de 67 ans, elle aurait pu bénéficier de sa retraite au 1er janvier, mais elle a choisi de continuer à passer la serpillère à raison de 10 heures par semaine pour mettre du beurre dans les épinards. "J’ai besoin de sous ! Ce n’est pas ma retraite qui me permet de vivre. Une fois que j’ai payé l’électricité et les assurances, je n’ai plus rien." La sexagénaire touche environ 1 100 euros par mois dont 500 euros de pension de réversion de son mari décédé. Grâce à ce complément d’activité, elle touche 400 euros supplémentaires : "Cela me permet d’économiser et de me faire plaisir."
"C'est dur mais je n'ai pas le choix"
Durant son parcours, Katia a fait le choix de se consacrer pendant dix ans à l’éducation de ses trois enfants mais regrette que cela ne soit pas davantage pris en compte. Opposée à l’allongement de l’âge du départ, notamment pour les métiers les plus pénibles, elle compte poursuivre son activité. "C’est dur, mais je n’ai pas le choix. Tant que mon corps tiendra, je continuerai", conclut-elle. Pour certains, c'est l’obligation financière, mais pour d’autres, c'est la passion qui leur donne envie de continuer.
C’est le cas de Jean-Charles Pierret, médecin du sport, présent tous les jours à son cabinet à 76 ans et qui consulte tard le soir. "Il n’y a pas de motivation financière pour mon cas. C’est seulement la passion de mon métier et la santé qui me permet de continuer dans ma profession", confie celui qui est aussi le médecin du Nîmes Olympique depuis 36 saisons.
Marie-Hélène et Geneviève Pichon, « Floricolnem Pichon » : « Nous sommes pour la liberté du travail »
Elles sont implantées depuis 1962 sur la place du Marché, mais ont démarré leur activité de fleuriste en 1945. Marie-Hélène et Geneviève Pichon, 83 ans, travaillent tous les jours, week-end compris, et ne comptent pas leurs heures : « C’est une passion, on voit beaucoup de monde. On a vu des grands-parents naître », sourit Geneviève, avant d’enchaîner : « J’ai travaillé toute ma vie pour un métier. Chacun doit avoir la possibilité de s’arrêter lorsqu’il en a envie. Pourquoi priver les gens de travailler ? », s’exclame-t-elle.
"Je ne veux pas me rouler les pouces"
D’un tempérament assez franc, Geneviève a son propre avis sur la retraite : « Je ne veux pas me rouler les pouces et attendre que mon argent tombe à la fin du mois. » Cependant, elle regrette les fermetures obligatoires liées aux confinements, ayant mis un frein à la cadence de clients qu’elle a pu avoir. Plus jeune de quelques mois, sa sœur Marie-Hélène nous a dévoilé une anecdote assez folle : « Pendant la période de la fête des grands-mères, nous ne sommes pas rentrées chez nous durant deux jours. Nous sommes restées sur place. » En plus d'être au magasin, les deux femmes organisent aussi les livraisons.