NÎMES Le chantier antique de la Maison carrée
Marc Célié, archéologue et spécialiste de l’Antiquité à l’Inrap a tenu une conférence lors de la journée d’étude de l’Institut national de recherches archéologiques préventives en reprenant les propos d’un autre archéologue de l’Inrap, Ghislain Vincent.
Sans les Nîmois elle aurait disparu comme tous les temples de l’empire romain. Disparu ou en tout cas ne serait pas aussi bien conservée. Au fil des âges la Maison carrée , aujourd’hui inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, fut un temple romain, bien sûr, mais aussi et de manière non exhaustive une maison consulaire, une maison tout simple, une église, une écurie, un lieu de réunion puis la préfecture du Gard. Rénovée dans premier temps au XIXe siècle, l'édifice a connu un nouveau lifting (pour le temple des princes de la jeunesse c’est logique…) au milieu des années 2000.
Les études de restauration de la Maison carrée ont débuté en 2006 mais le chantier pur et dur s’est étalé entre 2007 et 2010. C’est Ghislain Vincent, responsable scientifique de l’Inrap, qui en parle sous les mots de Marc Célié.
Pour une bonne restauration il faut faire des choix. Là, ont été validées deux choses, établir un réel document notifiant une à une chaque pierre qui compose l’édifice puis d’enduire le monument d’un badigeon. « Toutes les pierres ont été répertoriées. Des photos ont été prises de tous les blocs en plan large mais aussi de manière plus précise car à l’époque nous n’avions pas accès à la technologie du scanner… »
Son architecture ? Son plan est un pseudo-périptère hexastyle sur le modèle d’Apollon palatin et de Mars vengeur à Rome. La structure du soubassement est un podium de maçonnerie plein (à l’exception de deux caves), plaqué de dalles verticales. La partie haute, le pronaos (vestibule) ouvert et la cella (salle cultuelle) sont entourés de 30 colonnes corinthiennes dont 20 engagées dans le mur de la I. Le matériau d’origine est un calcaire des carrières du bois de Lens, près de Montagnac et de Barutel, non loin de Nîmes. Enfin, les signes particuliers sont probablement ses modillons inversés et sa frise de rinceau d’acanthes en fort relief.
Rappelons qu'il aura fallu plus de quatre années et de près 44 000 heures de travail pour que les sculpteurs et les compagnons tailleurs de pierre, sous la responsabilité de Thierry Algrin, architecte en chef des Monuments historiques, donnent un nouveau souffle à la Maison carrée dans les années 2000. On parle aussi de quelque 665 greffes et 96 blocs de pierres de taille.
Mais, revenons à ses origines. « Ce que l’on peut dire du chantier antique ? Les chapiteaux font 1,5m de côté et à peine plus d’un mètre de haut. Avant nous pensions qu’ils avaient été taillés sur l’échafaudage mais cela n’est visiblement pas le cas. On voit clairement des traces de tailles qui ne peuvent pas être faites avec le chapiteau alors qu’il était déjà quasi en place sur sa colonne. On pense donc que tout a été travaillé à pied d’œuvre et ajusté à la dernière minute. »
Elle était dédiée aux héritiers d’Auguste, Caius et Lucius Caesar, "Princes de la jeunesse", comme l’indique l’inscription sur son fronton déchiffrée par Jean-François Séguier au XVIIIe siècle. Les fidèles n’ayant pas le droit de pénétrer à l’intérieur du temple, les cérémonies se déroulaient donc à l’extérieur. Le bâtiment, entourée de portiques et mise en valeur par une plateforme surélevée, faisait face à un autre, probablement la curie, au nord, qui fermait l’espace du forum qui constituait le cœur économique et administratif de la cité antique de Nemausus.
« On imagine qu’un chapiteau engagé a été fait par un seul artisan. Les chapiteaux du pronaos sont quelque peu différents et certains, de manière visible, sont le fruit de deux tailleurs de pierre. Pour d’autres on peut même imaginer trois artisans qui travaillent dessus car nous voyons trois styles différents, notamment au nord-ouest. On pense que ce travail correspond à une journée de travail ou au temps d’apprentissage. Le travail d’un chapiteau complet devait représenter quelque chose comme une quarantaine d’heures et nous ne voyons pas un atelier spécifique en particulier pour cette construction. Unique au monde, la Maison carrée est représentative des canons classiques de l’architecture des temples antiques.
« L’architrave est composée de blocs aux dimensions aléatoires, comme c’est le cas pour tous les blocs des parties hautes d l’édifice. Cela est sans doute dû à l’extraction en carrière. Mieux vaut avoir des blocs plus petits mais parfaits que de gros blocs fragiles ! » On voit ainsi le savoir-faire des antiques artisans et de leur manière de leurrer habilement leur monde en réalisant une sorte de bricolage amélioré qui a tout de même tenu plus de 2000 ans. Le chantier fut sans doute un sacré moment de vie pour la cité.
« La frise, composée de perles et de pirouettes, est réalisée directement. On remarque aussi pas mal de marques et gravures qu’on ne peut pas dater mais qui sont là pour que les artisans se comprennent. On pense que six à huit personnes composaient le chantier de la frise. » Un chantier relativement petit et sans marbre pour un monument qui demeure le plus beau de tous ceux qui sont encore visibles, c’est fou !
« La corniche comporte des ajustements ponctuels qui font état de problèmes rencontrés par les tailleurs de pierres. On voit des notes comme 11 « S » et deux « F » mais on ne connaît par leurs rôles et leur position semble aléatoire… Beaucoup de champs d’études sont nécessaires pour faire avancer les recherches et nos connaissances mais, en tout, on pense qu’une quinzaine de personnes travaillait sur le chantier de la Maison carrée. Ce fut un chantier maîtrisé même si quelques soucis apparaissent. Il nous faut poursuivre les études sur les tests en façade car nous progressons en suivant les projets de restauration. »
L’objectif du chantier de restauration des années 2000 devait respecter l’esprit de construction initial, par le choix de matériaux antiques, mais aussi par l’utilisation de techniques modernes, voire novatrices, pour une restauration douce mais efficace. Extraite dans les carrières du bois de Lens, au nord de Nîmes, la pierre blanche qui fait la Maison carrée se caractérise par son éclatante blancheur et ses qualités propices à la sculpture, comparables à celles du marbre.
C’est à partir de cette pierre que le bâtiment a donc été construit, ce qui laisse supposer, compte tenu de l’absence de traces de peinture, que le temple était très clair à l’origine, avant de prendre la patine des siècles. Les restaurateurs du XXIe siècle l’ont également choisie, contrairement à leurs prédécesseurs qui avaient utilisé la pierre de Beaucaire ou encore... du plâtre.