FAIT DU JOUR Prix du carburant à la hausse : quels impacts pour les entreprises gardoises ?
Tout le monde l'a remarqué : les prix du carburant ont augmenté ces derniers mois. Cette hausse s'explique notamment par la reprise économique après la crise covid-19. Mi-octobre, le gasoil s'envolait en moyenne à 1,53€/litre à la pompe, selon les données du ministère de la Transition écologique. C'est plus que le pic qui avait déclenché le mouvement des Gilets jaunes en 2018. Le Gouvernement a annoncé il y a quelques jours le versement d'une "indemnité inflation" de 100 € aux 38 millions de Français qui gagnent moins de 2 000 € par mois.
Mais quelles sont les conséquences de cette hausse pour les entreprises de transport et logistiques ? Et pour les professions indépendantes qui font beaucoup de kilomètres chaque jour ? Plusieurs sociétés gardoises ont répondu.
Les autocars Faure à Bagnols-sur-Cèze
À Bagnols-sur-Cèze, l'entreprise Faure autocars assure le réseau Uggo, pour l'agglomération du Gard rhodanien, et des lignes régulières et scolaires pour Lio. Elle détient aussi ses propres cars. Au total, une quinzaine de véhicules sont rattachés à la base de Bagnols et circulent chaque jour sur une quarantaine de lignes.
L'augmentation du prix du gasoil est donc bien visible. Mais elle est en partie compensée par l'indexation Insee, qui prend en compte le coût du carburant mais aussi la main-d'oeuvre, l'entretien... À chaque contrat, elle fluctue en fonction de tous ces critères. "À l'heure actuelle, sur les appels d'offres, le prix est établi environ à 1,259€/litre. L'année dernière, à la même époque, c'était 0,936€/L. En 2019 : 1,16€/L", chiffre David Garres, directeur de Faure autocars à Bagnols depuis début avril.
Grâce à ce système d'indexation qui n'est pas fixe, la variation du prix du carburant est prise en compte pour l'entreprise. Ça, c'est dans le cadre d'appels d'offres. C'est plus compliqué lorsqu'il s'agit de transports occasionnels. C'est-à-dire des trajets exceptionnels comme des voyages scolaires, sorties de centre de loisirs ou voyages du club du 3e âge. "C'est nous qui fixons nos propres prix. On doit décider si on répercute ou pas la hausse du carburant. Quand ce sont des clients fidèles, c'est délicat de monter les tarifs. On ne peut pas non plus augmenter de 20%", explique le directeur. D'autant que les sorties commencent tout juste à reprendre.
L'entreprise doit trouver un juste équilibre pour ne pas pénaliser ses clients, sans être trop perdante : "Pour les gros voyages, par exemple jusqu'en Espagne, ça peut quand même faire un écart allant jusqu'à 100€", estime David Garres. Plus que jamais, Faure autocars mise sur l'éco-conduite pour économiser du carburant sur les trajets : "2-3 litres économisés à chaque fois, ça fait une différence. Ça ajoute du confort pour les usagers, pour le chauffeur, ça pollue moins aussi."
David Garres est quand même inquiet par rapport à cette hausse. Notamment pour la sécurité de sa flotte de véhicules : "Ça revient à prix d'or... On a peur de se faire siphonner les cars. Heureusement, on laisse quasiment tous les véhicules dans notre site grillagé. Mais on s'est fait siphonner il y a quelques temps à Barjac."
Les ambulances Benzouaoui Frères à Alès
Le prix du gasoil a pris +28 points en un an. Cela ne fait évidemment pas les affaires de Tahar Benzouaoui, gérant de la société alésienne d'ambulance éponyme. Sa flotte de 18 véhicules parcourent en moyenne 1,6 million de kilomètres par an sur le bassin alésien. "Chaque véhicule diesel roule en moyenne 90 000 kilomètres par an", assure Tahar Benzouaoui. L'ambulance, dotée d'un réservoir d'une cinquantaine de litres, a besoin de passer à la pompe environ sept fois par mois.
Avec l'augmentation du prix du gazole, un plein coûte aujourd'hui 15 euros de plus qu'en octobre 2020 à l'entrepreneur alésien. Ramené à 18 véhicules, cela représente une perte moyenne de près de 1 900 euros par mois. Colossal ! "Les prix de nos prestations étant fixés par des accord nationaux avec la Sécurité sociale, entre autres, nous n'avons aucun moyen de répercuter cette hausse", regrette Tahar Benzouaoui. "On essaie de faire remonter à l'État qu'il faudra changer les choses, mais ça prendra longtemps pour faire bouger le bateau", raisonne celui qui est aussi gérant des boulangeries Mamie M à Alès. Et d'ajouter : "Pour l'instant, à notre échelle, on ne pèse pas assez pour avoir des répercussions sur une hausse nationale des prestations ambulancières. Nous ne sommes que des petits acteurs économiques..."
La SARL Bouquet TP-Transports
Joël Bouquet travaille dans le secteur du bâtiment et des travaux publics depuis 40 ans et a toujours été à son compte. Depuis 2007, il est à la tête de la société à responsabilité limitée (SARL) Bouquet TP-Transports, une petite entreprise familiale au capital de 10 000 euros. Sa flotte est composée d'un tractopelle, de trois pelles de 20 tonnes et de trois camions dont un semi-remorque. Des engins particulièrement voraces en carburant. "Chaque mois, on passe 3 000 litres de GNR (gazole non routier, Ndlr) et autant de blanc, le gazole classique", précise Joël. Mais ce GNR dont le prix au litre s'élève à 0,80€, soit presque la moitié de celui du gazole, devrait être supprimé au 1er janvier 2023. "Ce qui va alourdir encore plus la facture", se désole le chef d'entreprise.
S'ajoute une hausse des prix des matières premières due à la pandémie. "Ceci plus cela, tellement qu'aujourd'hui je ne sais plus quoi écrire sur mes devis", s'inquiète Joël. Ce dernier a décidé de ne pas répercuter les augmentations qu'il subit de plein fouet, sur les devis signés l'an dernier. "Ce serait prendre le risque de perdre les chantiers, alors on fait l'effort, on prend sur nos marges." L'homme, âgé de 61 ans et donc aux portes de la retraite, ne cache pas son dégoût : "La situation est tellement incertaine que tout est compliqué, on n'ose même plus investir. Le fils de mon épouse souhaite reprendre l'affaire, mais franchement ça me fait peur, je crains qu'il se casse la figure."
Michel Maamar, chauffeur de taxi à Nîmes
Michel Maamar parcourt 8 000 à 10 000 kms par mois au volant de sa voiture. La hausse du prix du carburant est bien évidemment un sujet qui le préoccupe. Actuellement, remplir son réservoir lui coûte 100 euros de plus sur sa note mensuelle. Un surcoût qu'il ne peut pas répercuter sur le prix de ses courses car la tarification est réglementée et fixée chaque début d'année en préfecture. "Nos tarifs sont gelés depuis deux ans. Aujourd'hui, on paie sans savoir ce qu'il va se passer. Mais on espère que ça va bouger en haut lieu", explique l'homme de 51 ans.
L'artisan, membre du groupement de taxis Tran à Nîmes s'inquiète de cette situation, "d'autant que notre secteur est déjà très menacé par les plateformes de VTC et la loi Mobilités décidée par le Gouvernement. Il faut savoir que la licence coûte très chère, que notre activité est très réglementée, que nous avons des formations obligatoires et que nous devons régulièrement investir pour changer nos véhicules." Michel envisage d'ailleurs de se diriger vers l'électrique. "Mais encore faut-il que les bornes de chargement soient en nombre suffisant !" Un autre débat...
La société de transport Vénétrans à Vénéjan
Depuis 2006, la société Vénétrans, basée à Vénéjan, transporte des marchandises à travers la France et même parfois à l'étranger. "Entre août et aujourd'hui, le prix du litre de gasoil a augmenté entre 12 et 15 centimes. C'est un peu plus de 10% d'augmentation en deux mois", indique Claude Roux, directeur technique de Vénétrans et secrétaire régional de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR).
Déjà en 2008 et en 2010, il avait observé une hausse aussi forte. Grâce à la loi de 2006 relative au développement des transports, les sociétés peuvent ajouter un "pied de facture". En fonction du prix du carburant, un indice permet de minorer ou de majorer le coût du transport. Le taux est quand même défini avec les clients et ne compense pas toujours les variations du prix du litre d'essence.
"On a quand même émis des consignes : on ne fait pas tourner inutilement le moteur et les chauffeurs doivent s'arranger pour avoir le moins de carburant possible dans le réservoir les soirs et le week-end. Cela limite les risques de siphonnage", explique Claude Roux. Ses routiers font le plein là où les tarifs sont le moins cher et, quand c'est possible, dans les stations d'une chaîne de grande distribution partenaire qui fait souvent des opérations à prix coûtant.
Détenteur de 16 véhicules, Claude Roux essaye petit à petit de moderniser sa flotte. L'écart peut aller jusqu'à 6-7 litres entre un camion ancien et un neuf. "Ce qui m'inquiète, au-delà du carburant, c'est que la flambée des prix touche tout ce qui est à base de pétrole. On paye nos pneus beaucoup plus cher, surtout qu'il y a en plus une pénurie en ce moment. L'AD Blue qu'on injecte pour limiter nos rejets polluants connaît une hausse significative aussi", déplore le directeur technique. Il conclut : "Pour le carburant, on arrive à peu près à répercuter mais pour tout le reste, on doit taper dans nos marges. On ne va pas pouvoir continuer comme ça en 2022." Un souhait qui semble partagé.
Marie Meunier, Stéphanie Marin et Corentin Migoule