NOS PLUS BELLES MAIRIES À Barjac, le maire communiste est installé au château
Nous nous sommes tous déjà rendus en mairie pour rencontrer un élu, inscrire les enfants à l'école, ou déposer un permis de construire... Au-delà de leurs missions de service public, certains édifices présentent une architecture remarquable ou témoignent de l'histoire locale. Cet été, tous les mercredis, Objectif Gard vous fait découvrir les plus belles mairies du département. Pour ce nouvel épisode, direction Barjac.
Cela ne fait pas quinze ans que la mairie de Barjac s'est installée dans le château de la commune, après de longs travaux dans l'édifice majoritairement Renaissance. Un engagement que le maire Édouard Chaulet, élu depuis 1989, a pu mener à bien et voir achevé. L'accord entre vieilles pierres et architecture fonctionnelle et moderne y est tout à fait réussi. En plus de la mairie, le château accueille toute une offre culturelle : bibliothèque, cinéma, salle de danse, etc.
Entamer l'histoire du château de Barjac avec Édouard Chaulet, c'est aussi pénétrer l'histoire d'un territoire que son maire aime passionnément. Et ça nécessite de bloquer quelques heures, car l'homme est affable et l'histoire fournie. De celle qui peut aisément rattacher culturellement Barjac aux Cévennes, même si le maire le définit comme "un pays de garrigue, de plateaux et de plaines agricoles". "Je suis en train de rassembler des documents pour refaire l'histoire du château", énonce Édouard Chaulet. Même si la base de données est déjà bien fournie.
La partie la plus ancienne de l'édifice, c'est le donjon, relativement bas et dont les fondations remontent au XIIe siècle. "Au XIVe siècle, le pied de ce donjon a vu la guerre des Tuchin, détaille Édouard Chaulet. Puis, Louis XIII et Richelieu l'ont fait décapiter car Barjac était une place forte protestante." Face à la résistance de Montauban, le roi et son "premier ministre" avaient choisi de saccager Privas en Ardèche. Un massacre dont Barjac a eu vent : quand Louis XIII et son armée sont arrivés à proximité de la ville, celle-ci leur a remis les clés sans combat. La Paix d'Alais a suivi, en 1629. Puis, le temple fermera ses portes en 1635.
"Simon de Beauvoir de Grimoard, comte du Roure, était quasiment le seul à pouvoir se promener, d'Uzès à Barjac, et à en sortir indemne", rembobine Édouard Chaulet. C'est sa famille - la même que le pape Urbain V, originaire de Mende - qui bâtit le château à la suite de la Paix d'Alès, entre 1634 et 1639. "Je ne sais pas par quel subterfuge la famille Roure a pu le conserver aussi longtemps", se questionne Édouard Chaulet.
C'est finalement un curé de Monaco, qui en récupère la propriété et le transmet, vétuste, à l'évêché "au début du XXe siècle. Ils y ont installé une école privée, en plus du logement du curé et de l'école de musique associative". Lors de l'exode de 1962, des pieds-noirs trouvent refuge au château "dans des conditions primaires", se souvient le maire actuel. "L'accueil était chrétien, sur des valeurs dans lesquelles je me reconnais, celles du partage." L'évêché vend finalement l'édifice en 1982. "Ils ont refilé le bébé de l'investissement à la commune", souligne fortement Édouard Chaulet. Et la mairie s'y emploie, en entreprenant de refaire le toit, pour mettre le bâtiment en sécurité, en changeant les poutres de peuplier d'Italie, qui avaient pris l'eau.
"En 1989, je réceptionne ces travaux, se souvient celui qui vient, alors, d'accéder à la fonction de premier magistrat. Mais on m'écrit qu'il y a encore des fuites..." Ce sera la première action au tribunal administratif du néo-maire, qui a demandé à l'entreprise de refaire mais s'est heurté au rapport d'un expert "qui concluait que les fuites n'étaient pas impropres à la destination envisagée". Il faudra, à Édouard Chaulet et la commune, huit ans de bataille judiciaire pour faire reconnaître les vices des travaux. "Finalement, on a tout refait." Le château s'équipe, déjà, d'une salle des fêtes et d'un local du 3e âge.
"L'école privée, je l'ai sortie gentiment, sourit Édouard Chaulet. J'ai levé le droit de préemption que j'avais mais je leur ai laissé deux ans... J'ai été gentil. Et puis, quand je suis élu, en 1989, en décidant de multiplier par trois les coûts de fonctionnement de l'école publique, je transfère mécaniquement presque trois fois plus à l'école privée. Enfin non, parce qu'au château, on payait tout : le chauffage, l'électricité, la femme de ménage..." Si le penchant naturel d'Édouard Chaulet ne va évidemment pas vers l'école privée, il rappelle tout de même : "Mon père était anti-clérical, mais mon grand-père était sacristain..."
"Rien ne préserve mieux le bâtiment que de le rendre utile, plaide Édouard Chaulet, sans pour autant le rendre laid". La deuxième tranche s'intéresse donc à la bibliothèque, anciennes écuries et surtout ancien local technique municipal, qui abritait autant de salpêtre que d'outils communaux. La salle est mise hors d'eau par la construction de la salle polyvalente, au-dessus, plus large que la salle de la bibliothèque. Les écoulements sont donc contrôlés. Le cinéma, lui, était auparavant une "extension du garage des pompiers". La mairie ne s'agrège au bâtiment qu'en 2008.
Aujourd'hui, près de "trente activités se déroulent au château", recense fièrement Édouard Chaulet. La bibliothèque, où trône une oeuvre d'Anselm Kiefer, "compte quatre cents adhérents". Une salle, avec vue imprenable au sud, est dédiée à la danse ; une autre, aux arts plastiques ; une autre encore, à la musique. "C'est devenu le château du peuple !" Un édifice que le maire a partiellement fait inscrire aux monuments historiques. Mais sans réclamer le classement de l'ensemble. "Il faut faire attention à ne pas se mettre des menottes qu'on a du mal à enlever, explique-t-il. Il faut que l'histoire puisse vivre." Or, un classement induirait de lourdes contraintes architecturales.
De la terrasse - ancien hangar agricole avec jardin suspendu - Édouard Chaulet admire souvent l'est et ses garrigues ; l'Ardèche au Nord, qui fait de Barjac "une porte du Vivarais et de l'Occitanie" ; à l'ouest, "l'Occident, le jour qui meurt et la plaine agricole, les serres de Cruzières et l'effondrement qui a créé la plaine d'Alès" ; enfin, au sud, "la moitié du plateau et la moitié de la plaine d'Alès". Il peut aussi lorgner sur le donjon, qui doit recevoir les prochains travaux de rénovation. "On veut un plancher en bois de châtaignier pour y loger l'école de musique, projette Édouard Chaulet. Le projet permet aussi de fermer les créneaux qui avaient été percés pour faire passer des arquebuses."
Ce "château du peuple, ou centre culturel du peuple", Édouard Chaulet lui voit une utilité supérieure liée à la culture qu'abrite l'édifice. "Ici, on repousse la connerie humaine et la noirceur de la superstition". Une formule qui réussit à son maire, réélu sans pause depuis 1989.