FAIT DU SOIR De Rogues, Alexandre Rodier améliore la race Aubrac en s'inquiétant pour l'avenir de la profession
À 30 ans, ils ne sont plus trop nombreux à pouvoir dire qu'ils ont repris l'exploitation familiale. Alexandre Rodier est encore de cette espèce, un passionné qui ne se voyait pas faire autre chose que vivre auprès de ses bovins, de race Aubrac. Alors que la filière connaît des difficultés criantes, il parvient à s'en sortir, sur le causse de Blandas, loin des contraintes d'abattoir et de transports de bêtes sans fin. Mais avec une vie dédiée au travail.
Domaine des Aubracs, le bien nommé. Au hameau du Puech, à Rogues, Alexandre Rodier salarie sa mère et veille sur sa centaine de bêtes, à la tête d'un élevage "dans la famille depuis plus de 60 ans. J'ai repris l'exploitation au 1er janvier 2020", raconte celui qui ne valide que trente printemps de vie.
"C'était une évidence depuis tout petit, poursuit Alexandre Rodier. Agriculteur, je pense qu'il faut que ce soit un peu dans les gènes, et l'élevage, il faut que ce soit une passion. J'ai travaillé un peu à l'extérieur avant de m'installer, j'ai vu d'autres méthodes et facettes du travail, en étant salarié sur deux exploitations, et en restant lié à l'activité agricole et aux bovins."
"Ce que le grand public découvre aujourd'hui, ça fait trente ans que c'est comme ça, en fait."
Alexandre Rodier, éleveur d'Aubrac à Rogues
Enfant ou adulte, Alexandre Rodier n'est pas vraiment surpris par les difficultés qu'expose, aujourd'hui, l'élevage, secteur très actif lors des manifestations agricoles de février. "Ce que le grand public découvre aujourd'hui, ça fait trente ans que c'est comme ça, en fait." Lui avait déjà vu ses parents vivre un rythme professionnel intense. D'ailleurs, sa mère est devenue sa salariée. "Elle connaît le métier", lâche sobrement Alexandre Rodier. Et elle permet à son fils de prendre une dizaine de jours de vacances par an, de quitter un instant ses 90 vaches.
À Rogues, Alexandre Rodier est éloigné des centres de décision. De ceux des manifestations aussi, si bien qu'il a regardé le blocage de l'A9 de loin. Mais il n'est pas loin des préoccupations du pays, lui qui représente le syndicat des jeunes agriculteurs sur le territoire. "Chaque position a ses avantages et ses inconvénients, résume Alexandre Rodier. Ici, on est tranquille et on n'a pas de plainte à cause d'éventuelles nuisances olfactives. Le côté le plus pénible, c'est qu'on est loin de tout, donc on doit faire un maximum de choses nous-mêmes. Il est nécessaire de disposer de petit matériel. Et, parfois, il faut descendre au Vigan pour quatre boulons..."
"Je préfèrerais payer un peu plus ma salariée et en donner un peu moins à l'État."
D'ailleurs, au moment d'évoquer les plus grosses difficultés actuelles d'une exploitation bovine comme la sienne, c'est évidemment l'énergie qui arrive en tête de liste. "L'électricité, le gazole non-routier, qui a atteint jusqu'à 1,50 €/l. Et puis, il y a la paperasse, les charges sociales... Il faut passer du temps sur l'administratif, au moins une demi-journée par semaine..." En hiver, chaque jour représente environ 10 à 11 heures de travail. "En période de mise-bas, je ne dors pas vraiment, poursuit l'éleveur. Pendant 4 ou 5 jours d'affilée, c'est raide..." Ces contraintes permettent tout de même à Alexandre Rodier de compter, donc, une salariée à plein temps. Et de se tirer un salaire. "Je préfèrerais payer un peu plus ma salariée et en donner un peu moins à l'État."
Mais, au moins, avec le type d'élevage qu'il a choisi, Alexandre Rodier fait l'économie des kilomètres pour faire abattre ses bêtes, voire l'économie du temps passé à les abattre lui-même si son élevage dépendait de l'abattoir du Vigan (relire ici). "Tout mon cheptel est inscrit sur le Herd-book de la race Aubrac. Je vends toutes mes femelles à la reproduction, plus un quart des mâles. Les autres partent à l'export, en Italie. Je travaille avec un maquignon qui vend le bétail sur pied".
"Tout le volet génétique Aubrac, c'est ma grande passion, poursuit Alexandre Rodier. Le but est d'améliorer toute la génétique. J'ai commencé les concours il y a trois ans, ça aide dans la vente de reproducteurs." Alexandre conserve "90 mères, mon terrain correspond à l'élevage. Comme ça, je suis autonome en matière de pâturage. En matière de foin, c'est un peu plus juste. Mais j'arrive à passer l'été comme ça, même en période de sécheresse." Avec un objectif : conserver l'exploitation sur place et la sécuriser en termes financiers.
Une sécurisation qu'ont clamé les agriculteurs, sur les barrages de l'hiver, plus encore qu'un abandon du plan éco-phyto, comme l'a compris le gouvernement. "Mais l'État a complètement lâché ses agriculteurs, pense Alexandre Rodier. Quand on voit le comportement du président de la République, alors que x tracteurs sont dans la rue... J'aurais aimé le voir sur le terrain. Il nous parle d'Europe, mais il n'est plus là pour la France. La paperasse ne change pas et la promesse sur le gazole non-routier, on ne sait même pas si c'est en place."
"Un jeune qui, aujourd'hui, doit s'installer en s'endettant, je le plains."
En syndicaliste, Alexandre regarde aussi les autres exploitations. "Des transmissions d'exploitation, il n'y en a pas. On se rend compte que les gens s'en séparent. Moi, j'ai eu la chance que mes parents ont travaillé, ont investi pour un bel outil. Mais un jeune qui, aujourd'hui, doit s'installer en s'endettant, je le plains. Surtout dans l'élevage." D'autant que, dans les dernières années, en plus de l'énergie, "le matériel a augmenté à des prix fous. Quand on met tout ça bout-à-bout, ça rogne sur le bénéfice et sur le moral."
"Je pense que la profession ne laissera pas beaucoup de temps à l'État, prophétise Alexandre Rodier. Si les choses ne bougent pas rapidement, ça bougera autrement. Pour l'instant, ça reste pacifique." Lors des derniers mouvements, Alexandre n'a pas pu se mobiliser, "c'était en pleine période des mise-bas". Il n'a sans doute pas été le seul éleveur dans ce cas. Mais lors des prochaines mobilisations, ces éleveurs feront sans doute partie des protestataires.